Nouvelle réussite pour Riad Sattouf qui reprend ses thèmes habituels mais les enrichit en illustrant le récit autobiographique de Vincent Lacoste, le Jeune Acteur est un formidable mélange d’émotion et d’humour. A ne pas manquer !
Tout le monde – ou presque – sait depuis le triomphe de l’Arabe du Futur et des Cahiers d’Esther que Riad Sattouf est l’un de nos vrais génies de la BD française actuelle… Ce qui lui vaut, et c’est inévitable, de gagner à chaque nouvelle publication de nouveaux détracteurs, généralement sur le mode « Sattouf, c’est répétitif, c’est toujours la même chose… ! ». Ce qui est vrai, mais on peut se permettre de rappeler aux anti-Sattouf que nombre d’entre eux apprécient probablement que Woody Allen ou Wes Anderson fassent toujours le même film… Alors pourquoi un auteur de BD n’aurait-il pas ce même droit élémentaire, celui de creuser le même sillon ? Et quand ce sillon révèle autant de choses sur nous, sur nos enfants, sur nos relations au sein d’une société de plus en plus étrange, et au final sur notre humanité la plus profonde, pourquoi donc se plaindre ?
Le Jeune Acteur ressemble aux Cahiers d’Esther, puisque Sattouf y met en image le récit d’une tierce personne, en l’occurrence Vincent Lacoste, l’un de nos plus brillants acteurs actuels, qui va donc nous raconter sa trajectoire, en partant de son choix par… Riad Sattouf lui-même (!), comme interprète pour son premier film, le fameux les Beaux Gosses, sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes et récompensé du César du Meilleur Premier Film. Mais le Jeune Acteur nous renvoie aussi à l’Arabe du Futur, puisqu’il s’agit d’une histoire « à deux voix », confrontant les souvenirs de Lacoste à ceux Sattouf lui-même, un Sattouf plus âgé faisant néanmoins le lien avec le jeune adolescent de l’Arabe du Futur.
Et ce double regard sur les mêmes scènes, avec l’alternance de chapitres contés par l’un et par l’autre – facilement reconnaissables du fait de la couleur choisie pour la traditionnelle bichromie chère à Sattouf – enrichit formidablement nombre de situations… tout en générant régulièrement des effets de décalage hilarants : ainsi les meilleurs moments de ce premier tome (car il y aura une suite !), qui sont sans doute ceux du casting initial, sont particulièrement drôles, mais également significatifs, entre un réalisateur qui fantasme sur Truffaut et recherche son Jean-Pierre Léaud, et un adolescent qui veut jouer comme Al Pacino dans le Scarface de De Palma !
Et il faut bien reconnaître que, quel que soit le degré de cynisme ou d’incrédulité avec lequel on aborde ce premier volume du Jeune Acteur, la « magie Sattouf » ne tarde pas plus de quelques pages avant d’opérer à plein rendement : cet équilibre improbable entre douce caricature et humanité défaillante, entre rires (difficile de retenir quelques gros éclats de rire durant la lecture) et émotion (quand Sattouf – et Lacoste – nous touchent en plein cœur) au détour d’une phrase encore plus juste ou d’une image encore plus vraie, oui, cet équilibre semble même encore plus miraculeux ici que d’habitude.
Avec autant d’auto-dérision – de la part de deux artistes aujourd’hui reconnus qui se remémorent de concert d’où ils viennent -, que de franchise dans l’admission de faiblesses, d’hésitations, d’erreurs bien ordinaires, Le Jeune Acteur devient un improbable récit « d’apprentissage », dont la lecture ne fait pas que nous divertir et nous passionner : il nous éclaire sur nous-mêmes, et quelque part, nous rend meilleurs.
François Truffaut aurait adoré ce livre !
Eric Debarnot