Helge Reumann est un artiste suisse et l’extraordinaire Totale Résistance tient plus de l’exposition, voire de l’installation, que de la bande dessinée. Vous voilà prévenus.
Les Éditions Atrabile proposent un très bel ouvrage, un grand format au magnifique cartonnage rosé et au papier épais. L’objet est impressionnant. Le titre de l’album est repris d’un manuel de résistance aux invasions étrangères signé, en 1957, par un officier de l’armée suisse. Il regroupe une vingtaine d’histoires de tailles différentes – publiées entre 2000 et 2021 dans les revues Strapazin et Kramers Ergot – et réunies pour la première fois. Certaines ont été mises en couleur pour l’occasion.
L’univers graphique de Helge Reuman est d’une extraordinaire cohérence. Les personnages, les situations et les décors se retrouvent d’histoire en histoire. Les arbres anthropomorphes, les créatures noires, les larves, les géants barbus, les guerrières, le policier joufflu et les tueurs aux visages grêlés, mais aussi les petites voitures carrées, les sages et familières cités cubiques, les forêts et la montagne. Si le dessin pourrait être enfantin, l’histoire ne l’est pas.
Ici, humains et humanoïdes n’aspirent qu’à tuer. Crimes individuels et massacres de masse méthodiques se succèdent, dans l’indifférence de la nature et l’impuissance glacée du lecteur. Plus inquiétant, les tueurs au visages grêlés brillent par leur férocité, mais si l’un d’eux se retrouve isolé, les anciennes victimes s’empressent de se venger. La mort est partout. Les femmes, qui brillaient par leur absence, apparaissent dans les dernières pages, le visage rivé au fusil à lunette. Le fragile espoir de paix entrevu à la fin d’une page est régulièrement brisé par un nouvel fanatisme assassin. La violence gratuite est partout et son effet est, au final, hypnotique. Est-ce ainsi que l’Homme vit ?
Si les premières histoires me heurtaient par leur noirceur et leur ironie absurde, les suivantes me troublent par leur manque apparent de sens. Que nous signifie Reuman ? Comment la Suisse, pays du chocolat, des montres et du secret bancaire, a-t-elle pu accoucher d’une telle œuvre ? Je l’ignore. J’y retourne.
Stéphane de Boysson