En voulant mêler Stephen King, Lovecraft et Bram Stoker dans leur Chapelwaite, les Frères Filardi sont passé à côté de ce qui aurait pu être une très belle série fantastique d’inspiration gothique.
On sait depuis longtemps que, plus encore que ses romans, souvent difficilement adaptables au cinéma du fait de leur complexité et leur longueur, les nouvelles de Stephen King sont un formidable réservoir à fiction, et, intelligemment développées, peuvent donner naissance à de grandes choses. La perspective d’une adaptation sous forme de mini-série de Celui qui garde le Ver (Jerusalem’s Lot en VO), nouvelle compilée dans le recueil Danse Macabre, était donc alléchante, surtout avec le brillant Adrien Brody dans le rôle principal.
Et de fait, dès les premières scènes de Chapelwaite, on se laisse happer par l’atmosphère gothique d’un XIXème siècle américain puritain et fanatique, remarquablement évoqué : on accompagne le retour dans la ville de sa famille de Charles Boone, ex-capitaine baleinier, veuf et accompagné de ses trois enfants métis. Ayant hérité de la maison familiale à la très mauvaise réputation, Boone se heurte à la haine féroce des habitants de la petite ville voisine, qui tiennent sa famille pour responsable d’une étrange maladie décimant la population de la région. A partir de ce point de départ alléchant, qui reprend fidèlement les thèmes très « kingien » du fanatisme religieux, du racisme et de l’intolérance, le récit fait d’abord honneur aux codes du genre « film de maison hantée », avant de prendre de l’ampleur… et même trop pour le talent limité des Frères Filardi, showrunners et scénaristes.
La nouvelle de Stephen King était surtout un exercice de style en forme de double hommage aux maîtres américains de l’horreur, Lovecraft – pour le sujet, un culte à d’innommables anciens dieux – et Poe – pour la forme épistolaire. Et il y avait là de quoi alimenter une belle histoire originale, en exploitant le talent incontestable de Brody, toujours très crédible quand il s’agit d’illustrer le basculement vers l’horreur et la folie. Inexplicablement, les Filardi ont choisi de greffer sur leur histoire le thème du vampirisme, qui est lui le sujet de Salem’s Lot, roman de King se passant à une époque ultérieure, dans le même cadre géographique, mais la jointure entre les dieux monstrueux de Lovecraft et des vampires à la Bram Stocker – avec même une visite à l’asile psychiatrique comme citation directe de Dracula – s’avère passablement maladroite.
S’égarant au fil de dix épisodes trop longs accumulant résolution simpliste des conflits, disparition inexpliquée de personnages qui paraissaient pourtant importants, comportement absurde des protagonistes se mettant en danger comme dans n’importe film d’horreur hollywoodien pour adolescents, le téléspectateur aura du mal à comprendre comment une série commencée sur des bases aussi passionnantes a pu devenir aussi peu crédible…
Mais c’est bien l’écriture qui est à blâmer pour cet échec, parce que, jusqu’à une belle fin romantique et émouvante, on peut se laisser séduire par cet univers froid et brumeux, où les passions couvent sous le carcan des conventions et de la religion : bien réalisée, bien interprétée – avec une seule erreur de casting (ou bien là encore, d’écriture ?), Emily Hampshire, qui a amené avec elle toute la personnalité d’une jeune femme du XXIème siècle et est un anachronisme vivant -, Chapelwaite reste parfaitement regardable, inspirée même par instants.
Encore une adaptation de Stephen King à demi ratée, ou à demi réussie, suivant le point de vue duquel on se place : c’est à se demander quand même s’il n’y a pas une malédiction sur l’œuvre du maître de Bangor…
Eric Debarnot