Notre équipe de choc (et chic évidemment) de rédacteurs cinéma s’est pliée de bonne grâce (et en quatre) à l’exercice annuel, délicat et périlleux, du top 10 et a donc voté pour les 10 meilleurs films de cette année. Et leur sentence, comme dirait l’autre, est irrévocable.
Comme l’année dernière, le refrain est (malheureusement) connu : re-virus, re-pandémie, re-crise sanitaire, re-confinement, re-déconfinement, re-vague, etc. Et comme l’année dernière, le cinéma s’est retrouvé amputé de presque six mois d’exploitation pour cause de fermeture de salles. Et comme l’année dernière (encore), on n’échappera pas à la tradition du classement, aussi implacable qu’incontournable.
1. La loi de Téhéran – Saeed Roustayi
Si le film démarre en trombe avec ses allures de thriller haletant, Saeed Roustayi en modifie rapidement la narration pour se concentrer sur un long face-à-face psychologique puis judiciaire. L’idée, c’est de décortiquer et de dénoncer jusqu’à l’os l’inhumanité, et surtout l’échec patent, d’un système seulement répressif. Plus qu’un simple polar dont il s’approprie les codes et les mécanismes, La loi de Téhéran se révèle un véritable brûlot social contre les institutions et la déliquescence morale établies au cœur de la république des Mollahs.
2. Drive my car – Ryusuke Hamaguchi
Durant près de trois heures, le réalisateur japonais Ryusuke Hamaguchi donne la parole à quelques personnages marqués par le deuil, durant de longs trajets en voiture, en préparation d’une représentation d’Oncle Vania de Tchekov. Tout le programme de Drive my car est là, celui de laisser le temps des trajets, des silences et des détours pour permettre une mise en voix (la parole est en effet le motif central du film) : celle des acteurs et des personnes, celle des morts et des survivants aussi, des mutiques et des faux bavards.
3. Julie (en 12 chapitres) – Joachim Trier
Joachim Trier continue, avec ce pétillant Julie (en 12 chapitres), à parfaire sa mise en scène alternant avec brio instants de l’intime, expérimentations visuelles et envolées poétiques. Trier a surtout trouvé en Renate Reinsve, d’une incandescence et d’un charme rares, et Herbert Nordrum, géant nordique au sourire monumental, les parfaits interprètes de cette romance contrariée, pile poil dans l’air du temps et qui vient clore en douceur sa trilogie «Oslo» commencée, déjà, il y a quinze ans.
4. Onoda – 10 000 nuits dans la jungle – Arthur Harari
Le français Arthur Harari, dont c’est le deuxième film après la petite réussite qu’était le thriller Diamant noir, fait ici preuve d’une ambition gigantesque en s’attaquant à une vaste fresque de 2h45 intégralement en japonais et en gommant toute trace de sa présence ou de sa culture, comme en écho à l’expérience hors norme de son personnage. Sa mise en scène poursuit un itinéraire de délestage par lequel l’individu s’enfonce dans la jungle pour y trouver les signes que le monde des hommes ne lui donne plus. Puissant et remarquable.
5. Annette – Leos Carax
Pas de réelle surprise avec Annette, la comédie musicale très attendue de Leos Carax et des Sparks : tant dans sa démesure géniale que dans ses faiblesses, il s’agit d’une œuvre superbement singulière qui séduira les uns et irritera les autres, et dont l’une des grandes forces s’appelle Adam Driver (à ses côtés, la sensibilité de Marion Cotillard fait des merveille), plus impressionnant ici que jamais jusqu’à présent. Monstre psychopathe à la fois bouleversant et répugnant, son personnage de Henry McHenry est digne de marquer l’histoire du cinéma.
6. La voix d’Aïda – Jasmila Žbanić
Jasmila Žbanić a trouvé le ton juste pour mêler l’infiniment intime aux ténèbres de l’Histoire (le massacre de Srebrenica), refusant le sensationnel (les exactions, filmées hors-champ, n’en restent pas moins glaçantes), l’apitoiement ou la surenchère. Et, surtout, offrir un travail (ou devoir, qu’importe) de mémoire sur la tragédie (d’autant que l’existence du massacre de Srebrenica continue d’être niée par plusieurs hommes politiques bosniaques, essentiellement d’extrême-droite), auprès des victimes comme des survivant·e·s.
7. Nomadland – Chloé Zhao
À travers ce film magnifique inspiré par le livre-enquête de Jessica Bruder sorti en 2017 (Nomadland: Surviving America in the Twenty-first Century), Chloé Zhao tisse le portrait bienveillant et tout en nuances d’une vaste communauté faite de femmes et d’hommes vivant sur les routes d’Amérique et qui ont fait de ce mode d’existence, pour ainsi dire, une philosophie de vie. Un film plein d’empathie, de générosité et de fraternité qui évite toute forme de cynisme, porté par les belles notes de piano de Ludovic Enaudi. Un film qui fait du bien.
8. The dig – Simon Stone
Il ne faut pas se laisser abuser par l’imagerie initialement déployée par The dig : sa photo laiteuse, sa musique un peu trop insistante et ses jolis portraits compassés semblent en effet nous préparer à une romance inepte convoquant maladie du cœur, guerre mondiale et amours contrariées. Tous ces éléments seront certes bien présents, dans une esthétique qui rappellera Terrence Malick, mais ne sont en définitive que des accessoires ornementaux au profit d’une ligne de basse qui mérite notre écoute.
9. Illusions perdues – Xavier Giannoli
Xavier Giannoli nous offre une reconstitution du Paris de la Restauration extrêmement soignée dans les décors, les costumes ou les lumières, époque trouble à travers laquelle Lucien de Rubempré, jeune provincial monté à Paris pour se faire un nom, va acquérir une certaine renommée comme journaliste avant de connaître une chute irrémédiable. Avec une voix off s’offrant quelques clins d’œil à notre époque contemporaine partageant bien des points communs avec celle de Balzac, le film se révèle jubilatoire de bout en bout.
10. First cow – Kelly Reichardt
Durant deux heures, la réalisatrice Kelly Reichardt raconte le parcours de deux hommes dans les forêts de l’Oregon en 1820. Une histoire d’amitié dans un film au format carré, à hauteur d’homme et sans véritables enjeux dramatiques. Deux heures pour accompagner ses personnages et nous immerger dans une période où tout est à construire. Le rapport au temps est alors déterminant : la lenteur du regard posé, la précision des gestes, l’attention portée au travail relèvent autant de l’hommage que d’une exploration minutieuse d’un autre rapport au monde.
Les choix de nos rédacteurs :
Michaël Pigé
1. The power of the dog de Jane Campion
2. Le bal des 41 de David Pablos
3. Julie (en 12 chapitres) de Joachim Trier
4. The nest de Sean Durkin
5. First cow de Kelly Reichardt
6. La loi de Téhéran de Saeed Roustayi
7. La voix d’Aïda de Jasmila Žbanić
8. Moffie d’Oliver Hermanus
9. Milla de Shannon Murphy
10. Oranges sanguines de Jean-Christophe Meurisse
Benoît Richard
1. La loi de Téhéran de Saeed Roustayi
2. Illusions perdues de Xavier Giannoli
3. Nomadland de Chloé Zhao
4. Julie (en 12 chapitres) de Joachim Trier
5. Onoda – 10 000 nuits dans la jungle d’Arthur Harari
6. À l’abordage de Guillaume Brac
7. Le sommet des dieux de Patrick Imbert
8. First cow de Kelly Reichardt
9. Les intranquilles de Joachim Lafosse
10. La voix d’Aïda de Jasmila Žbanić
Sergent Pepper
1. Drive my car de Ryusuke Hamaguchi
2. Julie (en 12 chapitres) de Joachim Trier
3. Annette de Leos Carax
4. Serre moi fort de Mathieu Amalric
5. Onoda – 10 000 nuits dans la jungle d’Arthur Harari
6. Malcolm & Marie de Sam Levinson
7. Sound of metal de Darius Marder
8. The dig de Simon Stone
9. Pieces of woman de Kornél Mundruczó
10. Le sommet des dieux de Patrick Imbert
Éric Debarnot
1. Drive my car de Ryusuke Hamaguchi
2. Nomadland de Chloé Zhao
3. Benedetta de Paul Verhoeven
4. La fracture de Catherine Corsini
5. L’événement d’Audrey Diwan
6. Playlist de Nine Antico
7. The Sparks brothers d’Edgar Wright
8. La loi de Téhéran de Saeed Roustayi
9. Titane de Julia Ducournau
10. Annette de Leos Carax
Sébastien Boully
1. Le diable n’existe pas de Mohammad Rasoulof
2. La voix d’Aïda de Jasmila Žbanić
3. Mangrove de Steve McQueen
4. Onoda – 10 000 nuits dans la jungle d’Arthur Harari
5. West Side story de Steven Spielberg
6. Lovers rock de Steve McQueen
7. La loi de Téhéran de Saeed Roustayi
8. Drive my car de Ryusuke Hamaguchi
9. L’événement d’Audrey Diwan
10. Illusions perdues de Xavier Giannoli