Sous le couvert d’un plaisant conte animalier, La Ferme des animaux décrit les prodromes, la réussite, puis le détournement d’une révolution. Sans doute contraints par le trop court format, les auteurs livrent une bande dessinée trop sage et sans surprise.
Mort depuis 70 ans, l’œuvre de Georges Orwell (1903-1950) est désormais dans le domaine public, d’où la soudaine floraison de bandes dessinées qui lui sont consacrées : trois adaptations de 1984 et autant de La Ferme des animaux en moins d’un an.
1984 (publié en 1949) brosse le fonctionnement d’un monde totalitaire : mensonge, propagande, surveillance de tous les instants, délation, torture et abêtissement de la population. La Ferme des animaux (1945) pourrait en être le « préquel ». Ce court roman décrit la naissance du totalitarisme soviétique, de la révolution à la prise du pouvoir par Staline, avec la constitution progressive d’une nomenklatura, en lieu et place de la société égalitaire promise. Le propos est d’une extraordinaire audace, car la popularité du « Petit père des peuples » est alors à son pinacle. Le livre fut fort mal accueilli par la critique. Depuis la mort de Staline, l’ouvrage a pris une portée universelle. Trop souvent, les révolutions les mieux intentionnées se concluent par le remplacement d’une élite par une autre.
La collection Ex-libris de Delcourt propose une quarantaine d’adaptations de grands textes. L’intention serait louable, si le format de 46 pages n’était aussi court. L’œuvre se voit drastiquement résumée, puis trop sagement illustrée. Les versions de 1984 (respectivement dessinées par Fido Nesti, chez Grasset en 224 pages ; par Xavier Coste, chez Sarbacane en 240 pages ; par Rémi Torregrossa, chez Soleil en 122 pages) relèvent d’un autre genre, celui du roman graphique, avec des choix stylistiques et scénaristiques originaux.
Le dessin animalier et agreste de Patrice Le Sourd est sage, rapide et purement descriptif. Il évoquera chez les plus anciens celui de Sylvain et Sylvette de Maurice Cuvillier, charmant mais peu subversif.
Conformément à la commande, le scénario reprend scrupuleusement la trame du roman. Curieusement, Rodolphe a choisi de modifier les patronymes de ses héros, reprenant ceux de la version anglaise (Major, Boxer et Clover) ou introduisant un Léon (au lieu de Napoléon) et un César (Boule-de-Neige). Sa seule transgression réside dans les dernière pages. Après avoir mis en image le célèbre excipit, la confusion entre les anciens et les nouveaux maîtres (« Dehors, les yeux des animaux allaient du cochon à l’homme et de l’homme au cochon, et de nouveau du cochon à l’homme ; mais déjà il était impossible de distinguer l’un de l’autre »), il conclue sur l’extraordinaire formule : « Tous les animaux sont égaux, mais certains le sont plus que d’autres. »
La rapide lecture de cette courte bande dessinée ne vous dispensera de lire ou relire l’œuvre originale. Orwell est un géant.
Stéphane de Boysson
La Ferme des animaux
Dessin : Patrice Le Sourd
Scénario : Rodolphe
Éditeur : Delcourt
Collection : Ex-Libris
46 pages – 10,95 €
Parution : 20 octobre 2021
La Ferme des animaux – Extrait :