Episode de rupture par rapport aux thématiques habituelles du Donjon, dissimulé derrière un dessin sans surprise, la Bière Supérieure est un Donjon Monsters clivant.
Alors qu’il y a un an, la parution de Réveille-toi et Meurs, l’excellent treizième volume de la série Donjon Monsters, nous avait permis de faire le point sur cette branche de l’arbre Donjon, et de louer la manière dont elle venait enrichir l’histoire principale et dont elle permettait à des dessinateurs créatifs de littéralement s’approprier cet univers protéiforme, voilà que, avec le goût pour la contradiction qu’on leur connait, Joann Sfar et Lewis Trondheim nous offrent un nouveau tome qui repart complètement en sens inverse.
Première constatation en ouvrant le livre, le graphisme de Bastien Quignon est parfaitement en ligne avec l’esthétique générale du Donjon, et même si certains gros plans sur des personnages manquent parfois de finesse, Quignon se rattrape en offrant un beau dynamisme dans les (nombreuses) scènes d’action ou de bagarre, et quelques plans de paysages ou de constructions assez chatoyants. Bien sûr, ce manque de surprise – alors que l’on a appris à apprécier la patte différente que peuvent offrir des auteurs plus singuliers – peut être aussi vu comme une faiblesse de la Bière Supérieure.
Mais là où ce nouveau tome, au contraire, surprend, c’est par la manière dont son histoire (pour la résumer en quelques mots simples, une affaire de concurrence d’abord commerciale, puis violente, entre fabricants de bière !) se démarque assez radicalement des fictions habituelles du Donjon. Bien sûr, la Bière Supérieure nous permet de connaître un peu mieux Zautamauxime, la ville des lapins racistes (« les étrangers puent tous la patate ! ») et réactionnaires, et Poissonville, peuplée de monstres marins gastronomes. Bien sûr, les deux personnages principaux, deux femmes à la forte personnalité et aux tendances criminelles accentuées, reprennent les archétypes d’Isis, la Princesse des Barbares, et d’Alexandra, la tueuse de Donjon Potron-Minet. Bien sûr la route de Bonnie Mallory va croiser celle de nos héros Marvin et Herbert dans la taverne où elle commence sa carrière de femme d’affaires (l’apparition de cette lapine inhabituellement avenante sur la couverture de Hors des Remparts, le septième tome de Donjon Zénith, ayant a priori servi de point de départ au scénario de ce livre…). Mais l’absence – inhabituelle – de l’humour typique de Trondheim et Sfar, la noirceur des rapports humains et la violence sanglante systématique de l’intrigue emmènent la Bière Supérieure vers d’autres territoires…
D’où les réactions assez contrastées des fans du Donjon, certains appréciant cette rupture, tandis que d’autres la mettent sur le compte d’une baisse d’inspiration de nos auteurs stakhanovistes.
Vous vous ferez donc votre propre opinion !
Eric Debarnot