Tintin a écrasé l’histoire de « la ligne claire ». Les bédéphiles n’ignorent rien du génie de Hergé, de la réécriture de ses albums, de l’évolution de ses personnages et de sa longue dépression. Mais, que savons de son ami Edgar P. Jacobs ?
François Rivière l’a rencontré, l’a étudié et lui a consacré plusieurs ouvrages. Qui mieux que lui pouvait donc raconter son histoire ? Il débute par un rêve, puis enchaine par une visite, de nuit et en fraude, des collections antiques du Musée du Cinquantenaire, le « Louvre » belge. Le décor est planté, ce passionné aimera l’histoire, la musique et se faire peur.
Le scénario ne brille pas par son originalité ; nous suivons Jacobs de la fin de ses études à sa mort, très joliment amenée, mais par sa profondeur. Nous découvrons un artiste, souvent tourmenté, qui parvint, un temps, à vivre de sa voix de baryton ; l’illustration n’était alors qu’alimentaire. En 1942, il débute comme dessinateur de presse à 38 ans. Il se voit proposer une reprise « locale » du comics américain Gordon l’Intrépide – interdit par la censure – qui donnera Le Rayon U. Le succès est immédiat.
Rivière nous présente un bédéiste fasciné par nos angoisses, la peur de la Guerre mondiale, des terroristes ou des savants fous. Alors que Blake et Mortimer sillonnent la planète, Jacobs, sans quitter la banlieue est de Bruxelles, accumule de la documentation. Inquiet, il redoute que l’imperturbable sérieux et la fidélité à la monarchie de ses héros n’apparaissent démodés. De fait, déjà passablement old school à leur sortie, ils ont étonnamment mieux vieilli que leurs concurrents d’antan.
Philippe Wurm s’est glissé avec perfection dans le style très caractéristique, associant une merveilleuse précision à d’envahissants phylactères, de Jacobs. Tout au plus, ose-t-il nous offrir une visite dans un boxon, que le maître se serait, autres temps, interdite. Les longs intermèdes fantastiques, des incursions oniriques dans les différents albums, allègent le propos. Alors que Hergé et Jacques Martin, manifestement jaloux, ne sortent pas grandis, Jacobs se révèle un honnête homme, l’ami que nous aurions aimé avoir.
Stéphane de Boysson