Ce récit adapté des mémoires d’Odette Nilès, la petite amoureuse de Guy Môquet, nous rappelle fort à propos que la véritable Histoire de l’Occupation ne ressemble en rien aux délires de l’extrême-droite, et que nombreux sont ceux qui ont payé de leur vie la veulerie de Pétain et de ses sbires.
Le 22 octobre 1941, vingt-sept otages du régime de Vichy, complice diligent de l’occupant nazi, furent fusillés dans une carrière de la ville de Chateaubriant, entre Nantes et Rennes : l’histoire a surtout retenu le nom de Guy Môquet, le plus jeune d’entre eux, qui n’avait que 17 ans. La Fiancée est une adaptation en Bande Dessinée des souvenirs d’une autre très jeune prisonnière du Camp de Choisel, sur la commune de Chateaubriant, Odette Nilès, dont Guy tomba amoureux, et à qui il adressa un dernier mot d’amour – en plus de la très célèbre et bouleversante dernière lettre qu’il écrivit à ses parents (« Ma petite maman chérie, mon tout petit frère adoré, mon petit papa aimé, Je vais mourir ! Ce que je vous demande, toi, en particulier ma petite maman, c’est d’être courageuse. Je le suis et je veux l’être autant que ceux qui sont passés avant moi. Certes, j’aurais voulu vivre. Mais ce que je souhaite de tout mon cœur, c’est que ma mort serve à quelque chose… »). Le facsimilé des derniers mots de Môquet à son amoureuse – un amour qui ne fut malheureusement jamais consommé, étant donné les circonstances de leur détention – est d’ailleurs joint dans une enveloppe à la BD, ajoutant encore un niveau de réalisme, ou plutôt d’intimité à ce récit, qui commence comme une chronique historique et se termine en célébration bouleversante du courage manifesté par toutes ces femmes et ces hommes face à la barbarie.
Il est donc difficile de ne pas avoir les larmes aux yeux en refermant le livre de Gwenaëlle Abolivier, rennaise, ex-reporter et aujourd’hui documentariste et autrice, mis en image par Eddy Vaccaro, qui a réalisé de très belles aquarelles laissant – comme il le souhaitait – un certain espace à l’imagination du lecteur, tout en construisant l’atmosphère prenante qui nous fait adhérer pleinement à l’histoire.
Il est également difficile d’adresser des critiques à un ouvrage que l’on aimerait parfait, tant on sent sa lecture nécessaire, voire indispensable à une époque où d’aucuns s’ingénient à réécrire l’Histoire, à mentir purement et simplement pour servir leur vision nauséabonde d’une nation française (pas de majuscule, là…) qui – et heureusement – n’existe pas. Mais reconnaissons quand même que l’équilibre entre texte et images est beaucoup trop en faveur du texte (passionnant, bien entendu, là n’est pas la question), et qu’il aurait peut-être fallu repenser soit la taille des pages, soit la disposition de chacune, pour que le travail de Vaccaro soit réellement mis en valeur, et ne soit pas réduit à une simple illustration, régulièrement à peine lisible, du texte.
Et puis, il y a ce décalage frustrant entre le titre du livre (la Fiancée) et son sujet réel par rapport à celui suggéré par son sous-titre (« D’après la vie d’Odette Nilès, l’amoureuse de Guy Môquet ») : entamé par le récit personnel de l’engagement d’Odette dans les manifestations communistes contre l’envahisseur et la collaboration d’état, se prolongeant par la description réaliste des conditions de détention dans le camp de Choisel, il s’interrompt brutalement le 22 octobre 1941, révélant que son véritable sujet était bel et bien l’horreur de cette journée-là. La Fiancée nous laisse terriblement frustrés de ce décalage entre notre attente – connaître la vie, que l’on présage passionnante, d’Odette – et cette résolution inattendue.
Ou alors, il ne s’agit là que du 1er tome d’une saga que l’on aimerait beaucoup voir se poursuivre. Croisons les doigts pour que ce soit le cas.
Eric Debarnot