Personne ne misait plus la moindre pilule sur Shaun Ryder, chanteur hydrocéphale des Happy Mondays. Avec un nouvel album solo, le natif de Salford renoue avec une cool-attitude pocharde et semble enfin apaisé. Mais surtout, Visits From Future Technology contient de très bons titres.
Dimanche 15 février 2004 à 21H. Les téléspectateurs anglais vont en avoir pour leurs dus. La chaine BBC3 diffuse le reportage Shaun Ryder: The Ecstasy And The Agony. Soit une immersion dans le quotidien de Shaun Ryder, chanteur poly toxicomane des Happy Mondays et de Black Grape. Celui-ci connait un regain d’attention depuis 2002, date de sortie de 24 Hour Party People, un film qui retrace l’aventure du label Factory Records et de son groupe d’azimutés.
Depuis quelques années, Shaun Ryder n’en mène pas large, englué dans des problèmes de drogues, de santé, il doit faire face au procès perdu contre son ancien manager, qui le prive des revenus liés à la musique. Ce qui le plonge dans une relative précarité. Très vite, la BBC3 préfère le titre Shaun Ryder Comes Clean, moins glauque et vidé de toutes substances. On y suit Shaun en famille, dans sa cuisine à picoler un cocktail douteux, chez le médecin, au pub avec son pote Bez, à se griller un bédo dans la mercos avant d’aller rendre visite à sa mère, ou comme Dj en soirée MJC. Le reportage nous dévoile surtout les coulisses pourries de l’enregistrement de son premier album solo en Australie avec son cousin aux manettes. Amateur Night In The Big Top glorifie sans le vouloir la loose, et transpire autant la toxicité que le début d’une rédemption pas encore assumée. Si l’ancien trafiquant-dealer de Manchester semble usé et fragile, sa voix graveleuse semble en avoir le plus souffert.
En 2010, Shaun se rend en Californie pour participer au tournage de plusieurs épisodes de télé-réalité. Il en profite pour enregistrer plusieurs titres dans un garage transformé en studio à Venice Beach, qu’il oubliera vite, car dépassé par le succès de l’émission. Après 21 jours d’aventures, il arrive second en finale du jeu I’m a Celebrity….Get Me Out of There. Quant à l’album, Shaun le planque dans un disque dur et va le zapper durant onze années. Fort de son nouveau succès populaire, Shaun va faire le kéké à la télévision, animer des émissions consacrées aux Ovnis, se remarier et contracter une maladie qui lui fait perdre toute pilosité. Dès 2011, il enterre la hache de guerre avec son frangin Paul Ryder, bassiste des Happy Mondays, qu’il traitait de junkie (hum), avec qui il reforme le groupe avec les musiciens originaux après des tentatives en 1999 et 2004. Le claviériste Paul Davis sera vite saqué : « Davis est venu lors de la tournée en 2012 et… eh bien, il ne sait pas jouer des claviers ! Il n’a jamais su ! Il pouvait jouer sur une touche max mais pour être honnête, il n’a même pas joué sur cette tournée car il ne le pouvait plus ! En fin de compte, tout s’est fait par voie électronique ». Désintoxiqués, les Happy Mondays squattent les festivals, et Shaun et son pote Bez deviennent les portes drapeaux d’une génération aux neurones cramées qui porte désormais du XXL. En 2021, Ryder annonce sur Internet la sortie d’un nouveau single Mumbo Jumbo. Que s’est-il bien passé ? Durant le confinement anglais, il fut approché par Noël Gallagher où Robbie Williams, pour d’éventuelles collaborations. En cherchant des idées, il retrouve l’album fantôme dans son ordi. Sans label, Shaun Ryder est soutenu par le gourou musical anglais Alan Mc Gee qui le pousse à sortir le disque par ses propres moyens. Avec le producteur Sunny Levine, il refait quelques voix, et programme enfin la sortie du disque. La Covid-19 viendra repousser le projet et le natif de Salford la contractera via sa cellule familiale. Il se considère comme un survivant : « C’était la merde. La bonne chose était que le seul truc qu’on me laissait manger était des fruits, alors j’ai juste survécu avec des poires et toutes sortes de fruits. C’est comme si un rat rampait dans mon cul et y crevait. Et j’ai eu des hallucinations étranges, des putains de rêves les plus fous. Je respirais toujours bien, mais ça m’a mis en stand by pendant – putain de merde – environ trois semaines ! »
Depuis, Shaun a eu ses deux vaccins, mais un an plus tard, il ressent toujours des séquelles. « Tous les mois environ, je me sens super mal, comme si je le chopais à nouveau et je m’endors d’un coup. » Heureusement, dix ans auparavant en Californie, Shaun était en meilleur forme, les idées et l’inspiration étaient là. Sur une trame de pop électronique et hip-hop, les dix titres de Visits From Future Technology se démarquent de tout ce qu’il a pu faire auparavant. Il entretient un mystère autour des musiciens qui l’ont accompagnés en studio : « Vous seriez étonnés. Si vous saviez qui jouait du saxophone, de la batterie et des guitares, ils sont si célèbres que nous ne pouvons en parler ». Vérité ou intox ? Sa voix approximative mais attachante est en phase avec l’instrumentation faite de boîtes à rythmes cool, d’arrangements bricolés qui font dodeliner du bob. On pense souvent à Big Audio (Dynamite) période Higher Power pour ces compositions qui ne laissent pas insensibles et donnent l’impression d’être faite de bric et de broc.
Shaun ne se souvient plus de l’enregistrement de Visits From Futur Technology : « Je ne me souviens en fait de pas beaucoup de choses sur l’écriture de l’album. Clubbing Rabbits devait être une métaphore pour quelque chose… et je ne me souviens plus de ce pour quoi c’était une putain de métaphore ! » Diagnostiqué TDHA (Trouble Déficit de l’Attention / Hyperactivité), Shaun Ryder avoue : « À cause de mon état, je ne peux avoir qu’une seule chose dans la tête et je comprends maintenant pourquoi j’ai tant foiré à l’école, et pourquoi je n’ai jamais réussi à apprendre ce putain d’alphabèt ou ma table de multiplications. Je ne pouvais pas me souvenir de ces merdes… ». Troubles qui ne l’ont pas visiblement gênés à dealer et claquer la thune comme un chef. Quand on le questionne sur le meilleur titre de l’album, Pop Star’s Daughter, le chanteur avouera que les paroles traitent de l’expérience vécue avec ses filles dont il oublie certaines paternités. Qu’importe, car ce titre claque la bonne humeur comme un bon titre des Gorillaz, bidouillages et refrain en font un moment fort de l’album. En liaison directe avec The Clash, autant dans la composition que dans le timbre de sa voix. L’autre single Mumbo Jumbo est à écouter de préférence sous influence. Il signe le retour du boss, qui peut a nouveau déambuler sur Oldham Street, la tête haute un sourire nigaud aux lèvres, et les souvenirs en pagaille. Enfin ce qu’il en reste. « Le monstre est content aujourd’hui » chante-il sur Monster aux faux airs chaloupés et qui se décline en refrain mélancolique, toute basse dehors. Plus funk avec des arrangements lo-fi, Close The Dam, pamphlet anti-drogue, groove comme une montée d’ecstasy en mode relax. Le flow est à l’image du chanteur, tranquille et vaguement mélodique. Voir plus qu’approximatif sur l’enjoué Honey Put The Kettle On, on en est presque rassuré d’entendre sa voix cassée qui bloque dans les aigües. Le fantôme des Happy Mondays n’est pas loin avec Straighten Me Up et on décrocherai presque une larme en écoutant Turn Off The Air. Shaun n’a jamais été aussi bouleversant que sur ce titre ou tel un crooner de pub, il pleure des larmes de Guinness. Qu’il essuiera sans peine car, peu de chance de le voir défendre l’album sur scène, son futur semble être écrit: « Happy Mondays sera en pause, dès 2022, pendant quatre à cinq ans. Donc je pourrais rejouer avec Black Grape, l‘album Pop Voodoo a connu un certain succès en 2017. Du coup, on va écrire un nouvel album de Black Grape car nous ne sommes que deux. C’est très facile à faire, Kermit et moi écrivons et réalisons l’ensemble des titres.» Shaun Ryder a repris le contrôle de sa vie, gère sa carrière comme un bon père de famille et s’est fait tatouer les sourcils : « Je me réveillais le matin, me matais dans le miroir et je regardais mes pieds en pensant : putain de merde, je ressemble à mon gros orteil. Avec mes sourcils pigmentés, je ressemble moins à un gros orteil maintenant, n’est-ce pas ? » Euh…
Mathieu Marmillot