Avec un style d’une grande pureté et d’une grande sobriété, Selva Almada nous raconte bien plus qu’une histoire. Elle nous parle de la vie et de la mort, de la violence des passions humaines et de la dureté majestueuse de la nature. Magique. Envoûtant. Un tour de force.
Voilà un récit qu’il n’est pas facile, voire impossible de résumer. Pour tout dire, ce serait inutile et même ridicule d’essayer. Non pas qu’il soit trop long : Ce n’est pas un fleuve ne fait qu’une grosse centaine de pages. Non pas qu’il soit confus, au point d’échapper au lecteur et au chroniqueur et de devenir insaisissable. Non, résumer Ce n’est pas un fleuve serait ridicule parce que c’est un récit touffu, dense, multiple, complexe. Un récit mouvant, et tourbillonnant, comme les eaux d’un fleuve. Oui, en ces quelques dizaines de pages, Selva Almada raconte tant d’histoires, parle de tant de vies, de tant de sentiments et de passions, les mélangeant, les combinant, que les ramasser en quelques mots enlèverait au roman toute sa puissance, sa beauté, son intérêt.
Autour de ce fleuve, il y a Ernesto et Negro, Tilo et Eusebio. Il y a Delia et Siomara. Aguirre et Cesar. Lucy et Mariela. On pêche, et on pèche. On boit du maté et de la bière. On transpire beaucoup. Et on se toise beaucoup aussi. On se défie. On se menace. On s’aime, et on se désire. On se sépare. On se déteste. On vit. On se tue aussi et on meurt, ou pas d’ailleurs : meurt-on vraiment, sur les rives de ce fleuve ? En tout cas, le passé est toujours là, qui hante et habite les personnages et l’histoire. Tout se tient. Tout se mêle. Présent, passé. Réel, irréel. Vraiment, la vie autour du fleuve n’est pas linéaire et simple. Elle n’est pas rationnelle. C’est la vie.
Mais comment raconter une telle vie ? Selva Almada procède par petites touches, des scènes qui durent quelques lignes ou quelques pages. Elle utilise sans cesse ces flashbacks pour nous raconter les personnages, leurs errances et errements. Cela peut perdre le lecteur et, précisément, c’est ce qui est beau dans ce roman : être perdu dans le labyrinthe des vies qui se déroulent autour du fleuve. La force, la puissance de Ce n’est pas un fleuve ne tient pas dans une intrigue, dans une linéarité qu’on pourrait retracer entre un début et une fin. Elles tiennent dans la confusion des pistes multiples qui se dessinent et qu’on a du mal à saisir. Elles tiennent dans une structure complexe.
La force, la puissance et la beauté de Ce n’est pas un fleuve tiennent aussi dans la simplicité et la pureté du style. A l’opposé de ces auteurs caractéristiques de la littérature de l’Amérique du sud, ces Alejo Carpentier ou Miguel Angel Asturias, pour ne citer qu’eux, qui évoquaient la luxuriance d’un monde par un style lui-même luxuriant, Selva Almada fait preuve d’une sobriété remarquable. Peu d’adjectifs. Des phrases courtes. Juste ce qu’il faut, et tout y est. Un style précis et acéré. Et pourtant rien de pauvre, rien de sec dans cette façon d’écrire. Au contraire. Tout est clair, pur. Tout se détache devant nos yeux. Une sobriété envoûtante. Selva Almada assume l’héritage d’une tradition littéraire en s’en démarquant radicalement. Un vrai tour de force.
Alain Marciano