Cet ouvrage nous plonge dans les affres d’une vocation naissante, mais très lente à se concrétiser. Après le très beau Miles et Juliette, les Espagnols Sagar et de Salva Rubio récidivent avec cette biographie de Jacques Brel.
Salva Rubio fait parler Brel : « Aucun adulte ne tient les promesses faites à un enfant. Pas même l’enfant qu’il a été autrefois. » De longs monologues nous livrent ses états d’âme et ses doutes. Un généreux format de trois albums lui donne le temps de revenir sur ses débuts. Déjà enfant, il détestait la routine et rêvait d’aventure. Hélas, son destin était tout tracé, se marier, fonder une famille et reprendre la cartonnerie familiale. Une splendide double page nous propose la « carte de l’enfance » de Jacques, associant les photographies, les jouets et les lectures du petit aventurier. Le trop grand garçon « à la tête de cheval » va vaincre sa timidité sur les scènes associatives, puis se découvrir attirant.
Conformément au programme, Brel s’est marié tôt, a eu deux filles, mais a refusé de reprendre l’usine et est parti tenter sa chance à Paris. « On sait que l’on est devenu adulte quand on commence à s’ennuyer. » Durant de longues années, Brel court les cachets et les auditions, sans succès. Il découvre la pauvreté, la solitude, la peur, mais aussi l’amitié et les amours adultères. Le directeur de Philips l’invite à rentrer à Bruxelles, de retrouver ses enfants et l’usine familiale, pour ne se consacrer qu’à l’écriture et laisser les confier à de vrais chanteurs. Brel refuse et s’accroche à son ambition : vivre de la chanson et passer à l’Olympia. S’il parvient à intégrer le milieu de la musique – ses amis se nomment Brassens, Ferré, Aznavour ou Catherine Sauvage – sa carrière ne décollera que quand il parviendra, avec l’appui de ses nouveaux amis, à tirer de ses souffrances et de sa culpabilité des chansons. Ce sera Quand on a que l’amour et Ne me quitte pas.
Le dessin anguleux, mais plein de poésie, de Sagar privilégie des couleurs chaudes et assourdies. Souvent tourmentés, ses visages et ses silhouettes sont d’une rare expressivité. Il allonge le grand Jacques sur scène et lui creuse ses traits, lui donnant des faux airs de Tati. Une riche documentation lui permet de faire revivre le Paris de la nuit des années 1950. Il ne nous reste plus qu’à attendre la suite, avec impatience.
« Au premier temps de la valse
Toute seule tu souris déjà
Au premier temps de la valse
Je suis seul mais je t’aperçois
Et Paris qui bat la mesure
Paris qui mesure notre émoi
Et Paris qui bat la mesure
Me murmure, murmure tout bas »
Stéphane de Boysson
Brel : une vie à mille temps – tome 1
Dessin : Sagar
Scénario : Salva Rubio
Éditeur : Glénat
64 pages – 15,50 €
Parution : 10 novembre 2021
Brel : une vie à mille temps – tome 1 – Extrait :