La comédie mettant en scène une famille soumise à de multiples situations de la vie quotidienne est un genre télévisuel qui a fait florès à la télévision « feuilletonnante ». Atypical tente de raviver le genre à l’ère du binge watching, avec de l’humour et des pingouins.
Le soap de famille est une genre à part entière de la télé américaine. De “huit ça suffit” et “madame est servie” qui lança jadis Alyssa Milano, en passant par “la fête à la maison” – où jouait le récemment décédé Bob Saget -, jusqu’à “Bonne chance Charlie” et « Violetta” pour Disney dans les années 2010, … Tout jeune d’avant l’invention des plateformes de streaming a eu sa famille de télé préférée, dont il suivait inlassablement les aventures d’une semaine ou d’un jour sur l’autre. L’unité de lieu (la maison, l’école, le bureau) et de temps y étaient les standards formels. Les applaudissements et les ooooOOOOooh le tropisme habituel jusqu’au début des années 2000.
Une question pourtant se pose? A-t-on encore envie, besoin, de ce genre de série à l’ère de la consommation en saisons complètes, sans le rendez-vous récurrent, alors que même les premières images du remake du “prince de Bel-Air” semblent avoir troqué l’héritage formel pour plus de modernité narrative….
Wow le gars commence par dézinguer le genre, elle part pas bien bien sa critique.
Pas faux. En 2021 pour qu’une série me tienne en haleine il faut quand même qu’elle m’intrigue un peu plus que les aventures de Brandon et Brenda au Pitch Pitt fin des nineties. Sinon c’est bien simple j’ai tendance à m’endormir (parce que je suis vieux).
Alors quand Atypical annonce les aventures de Sam Gardner et de sa petite soeur Casey, à l’approche de l’entrée en fac pour l’un et au lycée pour l’autre… Tu es en droit de te demander comment j’arrive à m’envoyer les quatre saison de 8 puis 10 épisodes d’environ 26 minutes, sans laisser renâcler le cheval avant l’obstacle, sans lâcher en cours de route comme d’autres benziniens (j’ai les noms).
La réponse tient en deux éléments dont l’un des deux est aussi le titre. Jennifer Jason Leigh, à qui le rôle de mère de famille convient étonnamment bien, et la neuroatypie du personnage principal « atypique »: Sam Gardner, ado passionné de pingouins et d’Antarctique est aussi autiste.
Attend le gars est vraiment en train d’essayer de nous vendre l’originalité d’une série parce que les scénaristes ont pensé à un personnage autiste, alors que depuis une grosse paire d’anées TF1 nous farcit de Good doctor, de HPI et de Reed dans Criminal minds ? Alloooo y’a rien de neuf.
Et pourtant, si.
Quel que soit le bout par lequel j’appréhende la question, je me rends compte que la neuro atypie sur grand et petit écran est toujours glissée dans deux cases, et toutes les occurrences que j’ai en tête se rangent dans ces deux boîtes faites pour créer une distance rassurante avec l’être humain spectateur ‘normal’ : “il est bizarre et il fait un peu peur, mais regarde un peu comme il est balèze et sauve toutes les situations” ou “c’est un handicap, ok, il souffre tu n’as pas le droit de te moquer”.
Prends toutes les références que tu connais de personnages neuroatypiques, de Rain Man même à Forrest Gump en passant par Will Hunting ou Shaun Murphy, pour ceux qui me viennent en tête là, tu peux toutes les glisser dans ces deux grands sacs. « Savant fou » ou « pauvre handicapé »
Les deux seules fois où j’ai vu l’autisme joué et appréhendé différemment c’est dans l’adaptation japonaise du Good Doctor (la série est coréenne à l’origine, elle a été multi adaptée) par Kento Yamazaki et aujourd’hui le Sam Gardner interprété par Keir Gilchrist. Aucun des deux acteurs n’a de trouble du spectre autistique, pourtant tous deux sont excellents quand il s’agit de ne pas en faire des caisses, sans surjeu, tous deux sont portés par un scénario qui s’appuie sur le « comment s’intégrer dans la vie quand on est différent » plutôt que sur « voici ce qu’est un autiste ». Subtile différence. Mais ça change tout au spectacle proposé. Le réalisme tient sur le jeu des acteurs et pas uniquement parce que l’auteur a travaillé en étroite collaboration avec une professeure du Centre de recherche et de traitement de l’autisme à l’université de Californie à Los Angeles. Atypical sonne vrai, avec un nez de clown.
La série originale Netflix, est plus la quête d’adaptation d’une famille dont un des membres est autiste, dans le monde contemporain, que la présentation de la douance magique du protagoniste ou des affres de son handicap. Sam Gardner est autiste ok. Il est fan de pingouins et d’Antarctique. Ok .
Mais il sait être relou comme toi et moi, ou pire pote comme toi. Il a surtout une soeur qui a grandi à l’ombre du handicap de son grand frère et de la surattention des parents, une mère qui noie ses névroses dans la surprotection, un père persuadé que l’autisme le prive d’un fils “normal” qui sinon jouerait au foot ou emmènerait son daron en camping. Etc. Etc.
Le scénario de la création de Robia Rashid fait la part belle aux pensées “normales”, d’une personne qui sait qu’elle ne l’est pas. Un jeune homme de 18 ans qui enfile son casque bluetooth quand on parle trop fort autour de lui et qui pense qu’il ne saura jamais conduire de voiture parce qu’il ferme les yeux quand la route le stresse. Un jeune homme sans ami, sans copine, mais plein de passions, en fait, qui trouvent un cheminement différent dans les neurones et synapses de son cerveau qui n’est pas câblé comme celui de la plupart des gens. La vraie richesse de la série consiste moins en la présentation de la différence, qu’en la recréation d’une “nouvelle normalité” autour de cet élément déclencheur.
Atypical est une série réellement attachante. On se plait à rentrer dans l’univers de Sam, on s’attache aux protagonistes souvent loufoques. On débute une quête initiatique familiale au début de la saison 1 pour la relâcher quelque part en fin de saison 4. De fait, soyons honnête, la série commence à s’essoufler fin de saison 3. Et on avale la 4 parce qu’on sait que la série n’a pas été renouvelée et que l’auteur va donner une vraie fin aux aventures de Sam. Parce qu’on s’est pris d’affection pour les personnages, même si leurs “aventures” commencent à franchement redonder sur la fin. On veut savoir. Je voulais savoir. Et de fait, bien que Moldu standardisé sans aucun rapport avec l’enfantastique que nous raconte Atypical, souvent je me suis dit “rooo ben zut, je fais ça aussi avec mon enfant, rooo bah on dirait ma compagne quand elle lui autorise tout…”. Et d’après ce que j’en sais les quelques fratries qui ont regardé Atypical alors qu’un(e) des frangin(e)s vit la même réalité quotidienne que Sam Gardner, ne se privent pas pour se se chambrer « on dirait toi quand… » utilisant le vécu fantasmé des protagonistes qui agissent soudain un réel effet miroir sur les spectateurs.
Alors oui c’est vrai, Atypical n’est pas une révolution du monde de la série, ni même un renouvellement majeur du genre soap familial à l’ère de la plateformisation des feuilletons. Pourtant il y a assez de fun et de légèreté dans les aventures de la famille Gardner pour que cette série mérite d’être avalée comme les kilomètres parcourus par Roald Amundsen avec ses chiens et quelques pingouins sur la banquise de l’Antarctique.
Denis Verloes