Drôle de film que la dernière œuvre de Lowery, dont le A Ghost Story avait fait l’unanimité : personne ne semble réellement savoir quoi faire de son The Green Knight, finalement condamné à sortir sur une plateforme de streaming. Il y a pourtant là matière à cogiter…
Il est sans doute bien trop tôt pour essayer de trouver un sens à la trajectoire artistique de David Lowery, à son éparpillement entre relecture indie de genres formatés (le film de fantômes avec A Ghost Story, le fantastique médiéval avec ce Green Knight), son boulot pour Disney de remakes en prises de vue réelles des niaiseries de la maison, et toutes ses autres initiatives assez déroutantes. Ou alors on peut aussi admettre que cette fichue « politique des auteurs » que nous tous, cinéphiles appliqués, reproduisons mécaniquement, est de moins en moins applicable dans le panorama audiovisuel moderne. Peu importe, en fait, il vaut sans doute mieux réfléchir à The Green Knight en tant qu’objet cinématographique sans pour autant ajouter l’inconnue Lowery dans l’équation.
Ce qui est fort avec ce film, c’est que tout le monde semble en avoir une lecture différente, qu’il l’ait aimé ou pas. Ce qui aurait tendance à prouver qu’il s’agit avant tout d’un objet informe, indécis, intrinsèquement vide de sens, que chacun de nous viendra, machinalement, remplir de la signification qu’il aimerait y trouver. A part s’accorder sur l’interprétation, plutôt correcte, d’un casting bien choisi (Dev Patel et Alicia Vikander sont tous deux parfaits), sur la beauté de quelques images saisissantes (en oubliant de mentionner qu’il y en a aussi pas mal qui sont maniérées, gratuitement esthétisantes, racoleuses même, mais bien dans l’air du temps), sur l’omniprésence d’une musique pompeuse qui remplace audacieusement (?) quasi tout dialogue, il est bien difficile de concorder au sortir de The Green Knight sur la nature de ce que l’on a vu.
The Green Knight est un film qui demande une grosse quantité de travail à son spectateur : avant de le voir, pour pouvoir comprendre un minimum ce qu’il raconte – ou plutôt, justement, ne raconte pas -, il est conseillé d’aller lire sur Wikipédia tout ce qui concerne les écrits originaux sur Gauvain et le Chevalier Vert, aussi bien pour saisir les péripéties confuses du voyage initiatique du jeune homme en quête de « greatness », que pour identifier ce que Lowery a changé dans la conclusion du récit légendaire, et pouvoir donc imaginer ce qu’il a (peut-être, mais sans aucune certitude) voulu nous dire. Car après le visionnage du film, et sa succession de moments d’ennui léger et de brefs éclairs de plaisir esthétique, le vrai travail du spectateur commence : il s’agit maintenant d’écrire notre propre récit de ce que nous avons vu / cru voir / imaginé / compris.
Il nous semble quant à nous que trois films sont susceptible de nous aider à trouver un peu de sens à The Green Knight : d’abord, les Contes de la Lune Vague, le chef d’œuvre absolu de Mizoguchi, auquel on peut penser lors de la rencontre brumeuse avec le fantôme de la jeune femme décapitée : il y a là un écho possible entre les deux films, à travers la trivialité de protagonistes trop ordinairement humains confrontés à l’énigme non pas du surnaturel – d’ailleurs totalement acceptable à leurs yeux, et acceptée – mais bien du Mal qui réside au cœur de l’homme.
Ensuite, et c’est là une inspiration plus évidente, la Dernière Tentation du Christ de Scorsese, dont le principe du « et si… » est repris tel quel dans la toute dernière partie de The Green Knight (possiblement, la meilleure, la plus forte) … pour parvenir à une conclusion bien différente, et finalement tout à fait synchrone avec le pessimisme et le défaitisme de notre siècle : à quoi sert-il de vouloir échapper à la mort immédiate qu’on nous destine, quand la vie qu’on y gagnerait alors ne pourrait de toute manière n’être qu’une succession d’échecs et de catastrophes ?
S’il y a un troisième film auquel on peut penser plusieurs fois devant The Green Knight, c’est bien le célèbre Monty Python Sacré Graal, pour la démarche de déconstruction de la légende arthurienne franchement iconoclaste : entre les Chevaliers de la Table Ronde passablement risibles des Monty Python et les spectres sans visages et sans humanité, plongés dans la torpeur et l’obscurité qui entourent le Roi, il y a finalement bien peu de différences. Ou alors seulement la triste constatation que le cinéma est passé de la satire hilarante à une morne représentation post-moderniste. C’est bien depuis le XXIème siècle que nous parle Lowery, cela ne fait aucun doute.
Et si tout ce que pouvions espérer de mieux de la part de notre bourreau, d’après lui, c’est un sourire bienveillant sur son visage et une parole gentille avant que tout ne soit définitivement terminé ?
« Now, Off with your head! »
Eric Debarnot