Fille Unique, pseudo étrange pour un album étrange, rose, poétique, acidulé et surtout acide, déjanté. Une musique qui tisse sa toile lentement, écoute après écoute et qui en devient même un peu effrayant à écouter. Étonnant et plaisant.
Sous une pochette rose un peu sale, genre Malabar qui a traîné par terre, ornée d’un dessin maladroit, genre maternelle ou Reiser, se cache un objet étrange. Non pas la K7 (même si celle-ci est la grande oubliée de la révolution numérique), mais ce qui est sur la bande. Quelle est cette musique, faite de sons alternativement doux et piquants, aigrelets et pastels, ces (faux) rythmes quelque fois lents et de temps en temps aussi rapides? C’est… Fille Unique, qui nous propose Marraine, un album un peu délirant, un peu hors du temps, un peu dans le passé, dans le présent (peut-être dans le futur). Fille Unique ? Drôle de pseudo pour un compositeur qui veut rester dans l’ombre…
A la première écoute, on se demande si on n’est pas tombé sur un album bricolé par quelqu’un qui aurait ignoré que l’informatique et l’électronique ont fait des progrès ces 40 dernières années ou qui aurait trouvé un orgue en plastique au fond d’un grenier et décidé d’apprendre la musique. En réalité, Marraine est l’album d’un fou de technologie, d’un remarquable bidouilleur de sons, d’un expérimentateur hors-pair qui sait parfaitement se débrouiller avec les synthés de toute sorte. Ce qui n’est pas une surprise. Pour faire de la musique simplement avec des instruments simples, il faut être fort. C’est bien connu. Ici, justement, nous avons un album composé en 7 jours sur un 4 pistes avec (effectivement), 4 instruments trouvés dans une brocante et datant tous d’avant 1985.
À la première écoute, l’auditeur peut-être (sera?) désorienté par ce son. Petit à petit, à la réécoute, après plusieurs écoutes pour être plus juste, la perception de la musique qui sort des écouteurs change. On finit par être séduit par ces nappes de synthé qui créent des ambiances éthérées, légères, new age, comme sur le très beau et planant Elle rêvait de Mars ou sur Imperfection parfaite. On est même séduit par le double fond des morceaux, leur ambivalence. Car, en arrière plan, on trouve toujours quelque son qui coince, qui grince, qui fait dérailler. Sur cet album rose bonbon délavé, derrière l’illusion d’une musique de bonne humeur, simple et enjouée les morceaux diffusent rapidement une forme d’angoisse. Une musique acide, plus qu’acidulée. Ainsi, Convalescence commence comme un morceau quasi-tropical, dansant une samba électro irrésistible, réjouissante et puis qui devient presque oppressante quand les rythmes se durcissent. Ou jungle capitaliste, qui donne l’impression d’être une forêt d’arbres en plastiques et de fleurs en caoutchouc synthétique, mais finit par faire grincer des dents — cette craie qui raye un tableau noir… et puis la répétitivité de certains sons éprouvent l’auditeur. Le démon bleu pourrait être un gros nounours sympathique, tout bleu, mais c’est bien un démon qui vous tire par les pieds. Ou encore Déviation, des nappes qui vont et viennent et vont et viennent et vont et viennent. Un pendule qui vous hypnotise mais en étant tellement agaçant qu’on n’arrive pas à dormir !
Tout est à l’avenant, une électro marrante et enfantine qui se transforme en cauchemar adulte. Un album bi-face ! Étrange Mais qui vaut d’être écouté.
Alain Marciano