Un monde frappe fort dans l’observation sans pathos d’une jeune fratrie confrontée à des bouleversements tant communs (le harcèlement scolaire) que profondément intimes. Mais le film finit pourtant par s’enfermer dans une vision quasi théorique de ce qu’il entend évoquer.
Un monde, annonce bravement le titre du film de Laura Wandel. Ou plus exactement un autre monde, celui de l’école. Un monde à part, celui de la cour de récréation. C’est pourtant un monde qui ressemble au nôtre, ou qui y préparerait. «L’entrée à l’école influence ce paysage qui détermine bien souvent notre vision du monde en tant qu’adulte. En plus d’y apprendre à lire et à écrire, c’est surtout le rapport à l’autre qu’on y explore. J’ai donc choisi l’école, et surtout la cour de récréation, car c’est une microsociété […] Ce qui se vit dans une cour d’école reflète ce qui se passe à beaucoup d’autres niveaux de la société et du monde», a d’ailleurs expliqué Wandel.
On y retrouve ainsi ce qui fait le ciment des liens et des processus sociaux de tous les jours, que ce soit dans la rue, au travail, face à l’autorité ou même entre amis, mais à une autre échelle, ramené à un microcosme : la violence (de son expression à sa transmission), les conflits, les rapports de force, les inégalités, une recherche d’intégration et de reconnaissance, la peur d’être rejeté… C’est par le biais de Nora (surprenante Maya Vanderbeque), qui entre en primaire, et de son grand frère Abel, harcelé par d’autres élèves, que nous accédons à ce monde, ce monde de l’enfance où prédomine éducation, où s’exerce apprentissage, où se déploient rires et innocence, mais où se devine aussi une noirceur, peut-être une angoisse, dans cette façon parfois d’être cruel, et même morbide (ces cadavres d’enfants qu’on imagine enterrés sous le bac à sable), en tout cas sans filtre.
Dans une approche quasi documentaire (on pense beaucoup au Récréations de Claire Simon qui, avant Wandel, s’immisçait déjà dans une cour de récré pour y traquer ses «us et coutumes»), Un monde frappe fort dans l’observation sans pathos, et d’une grande sécheresse de trait, de cette fratrie confrontée à des bouleversements tant communs que profondément intimes, et que les adultes auront grand peine, dans leur impuissance comme dans leur compréhension, à contenir. Mais cette volonté, à la fois appréciable et réductrice, de rejeter tout écart narratif et de maintenir un hors-champ sur à peu près tout (les violences subies par Abel, la vie à l’extérieur de l’école, la situation familiale de Nora et Abel…) finit pourtant par enfermer le film dans une vision quasi théorique de ce qui s’y passe.
Et dans un procédé devenant, in fine, pur mécanisme (Wandel dit avoir beaucoup appris, entre autres, du cinéma de Bruno Dumont et de Michael Haneke : on voit bien ici l’évidente corrélation). Sentiment renforcé, et c’est là le plus grand défaut du film, par l’alternance systématique et peu inspirée de scènes soit en cours (orthographe, mathématiques, gymnastique…), soit au réfectoire, soit à la récréation, entretenant un rythme monotone qui finit d’imposer une sorte de ronron académique dans la grammaire cinématographique employée par Wandel et qui, sans doute, demandait davantage de singularité et de personnalité.
Michaël Pigé