Si le film politique est un genre des plus risqués, qui plus est à une époque où tout le monde semble avoir perdu la foi envers ceux qui nous gouvernent et nous administrent, alors les Promesses est une réussite encore plus éclatante. Et, cerise sur le gâteau, un thriller impeccablement tendu.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que la politique, et dans la foulée, les femmes et les hommes politiques, n’ont pas bonne presse depuis quelques années. Ce rejet presque systématique sur le thème « tous pourris » fait évidemment le jeu des populistes de tous bords, et particulièrement des extrémistes qui flattent nos instincts les plus primaires et mettent de plus en plus en danger la démocratie (qui est, on le sait tous à force que tout le monde reprenne la phrase de Churchill : “ un mauvais système, mais le moins mauvais de tous les systèmes” – Mais le croit-on encore vraiment ?).
Les Promesses, le second film de Thomas Kruithof, est un film politique, et aussi un film sur la politique. Comme il est intelligent (brillant même parfois), et qu’il évite le racolage à la mode (donc, pas de « tous pourris » ici, seulement une description objective des ambiguïtés et des compromissions indispensables au fonctionnement de l’administration de quelque structure humaine que ce soit), les Promesses n’est pas seulement un film rare – depuis quand n’a-t-on pas vu traité aussi bien ce genre de sujet au cinéma, en France tout au moins ? -, c’est aussi un film nécessaire. Une contribution importante de Kruithof et de son équipe au débat démocratique si fondamental à l’approche des élections présidentielles.
Au départ, il y a ce scénario quasiment parfait, co-écrit avec Jean-Baptiste Delafon, qui a participé à la série Baron Noir : en situant l’action des Promesses au niveau municipal, donc dans la plus grande proximité possible avec le citoyen, en racontant une histoire qui impacte potentiellement la vie de milliers de personnes (dans le 93, soit une banlieue parisienne à la fois riche en problèmes et dynamique), en parlant des conflits entre la volonté d’améliorer le quotidien des administrés et l’inévitable désir – tellement humain – de pouvoir, Kruithof et Delafon dressent un panorama qui semble parfaitement réaliste, et s’avère saisissant – et passionnant – du monde politique. Certains ont d’ailleurs pu comparer les Promesses à The Wire, qui, dans sa dernière saison, décrivait aussi les combats d’une équipe municipale : c’est dire à quelle hauteur plane le film de Kruithof.
Clémence Collombet est la mairesse d’une grande ville de la banlieue parisienne qui se bat, aidée par Yazid, son fidèle et brillant directeur de cabinet, pour obtenir du « Grand Paris » les crédits nécessaires à la réhabilitation d’une cité qui sombre depuis des décennies dans l’insalubrité : alors qu’elle a renoncé à se présenter pour un troisième mandat et que le projet se présente à peu près bien, son parti lui fait miroiter un poste de ministre… Et à partir de là, tout va partir en vrille…
Et, si, inévitablement, cette histoire de trahisons, de mensonges, de rapports de force, de manipulations, est pour le moins complexe, elle décrit avec une clarté maximale une situation souvent ingérable entre le pouvoir central (les dernières scènes nous font – presque – pénétrer à l’Elysée), les partis politiques aux tactiques purement électoralistes, les acteurs locaux aux pratiques plus ou moins « clean » (tels cette société de sécurité qui doit absolument, pour sa survie, gagner un contrat important, ou, pire encore, ces marchands de sommeil s’enrichissant sur le dos des migrants), et, au plus bas de l’échelle, les habitants des cités qui enragent de se voir encore et toujours oubliés dans le jeu politique.
Dans les Promesses, on ne brandit aucun flingue, et il n’y aura qu’un seul coup de poing asséné. La violence est néanmoins omniprésente, dans chaque conversation, dans chaque confrontation, grâce en particulier à des dialogues d’une écriture exemplaire. Les Promesses est donc un véritable thriller, qui nous tient en haleine pendant 1h40, ne nous lâche pas jusqu’aux derniers instants d’une histoire formidablement bien ficelée, pleine de rebondissements, de surprises et de suspense. Bien entendu, mais c’est absolument inutile de le dire, vu leurs pedigrees respectifs, Isabelle Huppert et Reda Kateb sont éblouissants de bout en bout, constamment sobres, justes. Impressionnants de précision.
Et si le final est, contre toute attente, moins sombre qu’il menaçait de l’être, on ne décèlera nul angélisme dans les Promesses : il faut bien aussi, de temps en temps, reconnaître que quelque chose de bon puisse sortir d’un tel cloaque. Mais le film ne dispense aucun « feel good feeling » à l’Américaine, aucune illusion : tout reste toujours à refaire.
Eric Debarnot