Nicolas Mathieu, en formidable conteur, s’impose comme l’écrivain d’une génération, celle des quadras d’aujourd’hui. Au fil des parutions, tel un anthropologue, l’auteur se pose en observateur éclairé, et décrit les conditions humaines, avec force réalisme.
C’est une fois encore, dans la région Est, que Nicolas Mathieu a choisi de situer l’histoire de ce nouveau roman.
Le récit suit le parcours de deux personnages, Hélène et Christophe, de l’enfance à l’âge adulte, jusqu’en 2017, année marquée par la transition et le changement, à la fois sur le plan personnel et national.
Les ingrédients sont universels : Bilan étape à mi-parcours, vieillissement des corps, idéaux partis en fumée, fuite du temps, les choses que l’on pense immuables, les amitiés éphémères, être en phase et comprendre (ou pas) son époque, choc des générations …
Le talent de Nicolas Mathieu réside dans cette capacité à imaginer des personnages qui deviennent rapidement familiers, évoluant dans des situations plutôt banales, et de leur faire prendre chair en un clin d’œil.
Les thèmes majeurs qui parcourent le livre sont le vieillissement des parents, la transmission de l’héritage, génétique, culturel. L’auteur pose, en filigrane cette question essentielle : Peut-on échapper à sa condition ? Qu’elle soit familiale, héréditaire, sociale ?
Hélène est cérébrale, Christophe c’est « Cogne et Gagne »
Elle, la tête dans les bouquins dès son plus jeune âge, s’acharne à se construire un avenir douillet et sécurisé, pendant que lui, en proie à de vieux démons, relève plus du schéma de l’enfulte, et va devoir, coincé entre deux âges, assumer la double tâche de gérer à la fois l’éducation de son fils de dix ans et suivre, spectateur, l’évolution dégénérative d’un père dont la santé décline, tout en s’évertuant à redorer son blason d’ancien joueur de Hockey sur glace, localement connu.
L’auteur décrit avec brio cette période charnière, cet âge ingrat pendant lequel les femmes sont sujettes au tutoiement facile d’un côté alors que d’autres penchent plus rapidement pour un Madame, cet intervalle où les hommes s’épaississent et deviennent respectables. L’âge d’un premier bilan et des prises de conscience.
« Au fond, les vieilles amours étaient comme ces tapisseries décaties aux murs des châteaux forts. Un fil dépassait, vous tiriez dessus par jeu, et tout se détricotait dans la foulée. En un rien de temps, il ne restait plus que la trame, les manies et les névroses à découvert, le rêve agonisant en ficelles sur la moquette. »
Finalement, à quel âge est-on prêt ? Prêt à s’assumer seul et à être autonome financièrement, prêt à prendre les rênes de sa propre vie, prêt à engendrer à son tour une descendance et à inculquer des valeurs, prêt à assister impuissant à la décrépitude irrémédiable et annoncée de longue date de ses aïeuls ?
De sa plume fine et acérée, Nicolas Mathieu dresse également le portrait d’une époque aux prises avec une bureaucratie qui tient du Grand-Guignol, des administrations saccagées suite à des restructurations décidées en haut-lieu, des organigrammes déstructurés et à repenser, d’une société déshumanisée qui privilégie la compétitivité à tout va et vend du vent.
« Avec cette fusion des régions, le pouvoir central avait rêvé une fois de plus l’avènement d’une efficacité politique introuvable depuis presque cinquante ans. Mais il fallait pour cela bousculer des baronnies antédiluviennes. Le résultat était à la hauteur des attentes. On voyait partout des habitudes quasi préhistoriques se heurter horriblement dans le chaudron de la nécessaire homogénéisation des pratiques. »
Mais alors, pourquoi Connemara ? Parce que, même si le monde est pris dans sa course folle, il reste cette inlassable ritournelle, ancrée dans l’inconscient collectif, cet hymne à la fois beauf, fédérateur et rassurant, sorte de mantra exutoire qui traverse les générations sans perdre de son efficacité, véritable moteur capable de déclencher une chenille improvisée au sein de laquelle tout le monde se retrouve.
David Counil