Sean Baker poursuit l’exploration de l’Amérique décatie à travers le portait peu glorieux d’un ex acteur porno. Une comédie franche et acide par le réalisateur de The Florida Project.
Après The Florida Project qui suivait le quotidien d’enfants défavorisés dans les environs de Disneyland, Sean Baker poursuit l’exploration de l’Amérique décatie en s’intéressant à une industrie tout aussi fondée sur l’illusion, mais pour un autre public : le porno. Un acteur autrefois célèbre rentre chez son ex-femme et tente de renouer avec le succès. La comédie est aussi franche qu’assumée, et force est d’admettre que Simon Rex (lui-même ex acteur porno) instille avec énergie tout qu’il faut de charme, de maladresse et de de bêtise. Le bonimenteur malhonnête use d’une séduction permanente qui franchit les limites du cadre pour atteindre le spectateur presque attendri par ses frasques.
Car le terrain à conquérir est avant tout un champ de ruine : du mobile home de son ex femme vivant avec sa mère, le réveillant chaque matin par son programme télé, aux raffineries en arrière-plan, les opportunités semblent maigres. La désillusion, constante, offre deux option : la drogue, évidemment, et le mensonge, à l’instar de son voisin, s’inventant minablement un statut de vétéran, alors que le protagoniste va lui-même imaginer relancer sa carrière en séduisant une adolescente travaillant dans un restaurant de donut, qui rappelle par ses couleurs tristement criardes le motel de Florida Project.
Red Rocket propose donc de mêler deux tonalités, et presque deux regards sur l’Amérique des laissés pour compte. La comédie sur ces branques de la débrouille instille une empathie et une forme de sublimation pour un récit qui, malgré ses 2h08, ne perd jamais son rythme ; mais celle-ci ne se débarrasse jamais d’une acidité noire, et d’un véritable malaise quant au portrait du parfait connard qui s’y joue. Menteur, manipulateur, Mikey transforme le désespoir social en toxicité active, et sa corruption de sa nouvelle conquête mêle la désinvolture et l’effroi. Quelques scènes, rare et judicieusement disposées, offre ces béances de lucidité où la sincérité (la demande de la mère sur ses intentions), la beauté (le chant de Strawberry) ou le silence (lors de l’annonce du départ) parviennent à prendre la mesure des ravages occasionnés. Mais la fuite en avant par l’illusion l’emporte, alors qu’en arrière-fond, un tonitruant homme médiatique nommé Donald Trump se présente à la convention 2016 du parti républicain. Les ferments sont tous présents sur cette terre stérile en idéaux, et la conquête du bitume par un loser à vélo ne pourra que se terminer par un carambolage.
Sergent Pepper