On aime les séries coréennes pour leur radicalité, c’est un fait, et voilà qu’on pourrait bien les aimer aussi pour ce qu’elles nous disent de nous et de l’état du monde. Au delà d’une histoire horrifique – très convenue – de contamination par un virus transformant des lycéens en zombies, All of Us Are Dead s’avère un passionnant voyage à travers les véritables horreurs de notre société.
Bien sûr, a priori All of Us Are Dead ne fait pas plus envie que ça, avec son allure d’algorithme Netflix « zombies + vie des lycéens ». Mais la nationalité coréenne garantit à priori une certaine rudesse dans la violence, des situations émotionnellement plus radicales, ainsi que, puisque c’est clairement devenu pertinent dans les séries récentes du Pays du Matin Calme, un questionnement réel sur les valeurs sociales et politiques dominantes. Toutes choses que les Américains ne savent plus nous offrir depuis belle lurette dans leurs divertissements populaires (l’ont ils jamais su, d’ailleurs ?). Et sur tous ces points, il faut bien admettre, si l’on est de bonne foi, et que l’on ne se focalise pas trop sur les petites facilités scénaristiques typiques du genre, All of Us Are Dead fait impeccablement son boulot. Nous fait sourire, nous fait peur, nous horrifie, nous émeut, nous fait même réfléchir. Mission accomplie donc en 12 épisodes de 45 minutes, parfois un peu longuets : en 8 épisodes, la série aurait été presque parfaite !
Le principe de départ est donc une épidémie virale accélérée dans le vase clos d’un lycée, déclenchée par un scientifique taré mais génial qui voulait protéger son fils du harcèlement scolaire. Vite forcé à se barricader dans une salle alors que des hordes de lycéens « contaminés » envahissent l’établissement, un groupe de lycéens très hétérogène va devoir trouver la manière de survivre ensemble, et pour cela, de dépasser les conflits habituels (jalousies, antagonisme social, séquelles psychologiques diverses…). Si tous les stéréotypes des séries lycéennes sont bien là, sauf la frénésie sexuelle et l’abus de drogues chers aux Etats-Uniens (et c’est très bien comme ça…), les clichés du genre sont vite dépassés par l’énergie déployée, tant par la mise en scène qui turbine que par les jeunes interprètes qui se donnent à fond : même si l’humour est agréablement présent, et si les références nécessaires sont citées (en premier lieu Last Train to Busan, logiquement), All of Us Are Dead fonctionne au pur premier degré, entre l’horreur de perdre peu à peu les gens qu’on aime dans ce cataclysme et la difficulté de prendre des décisions critiques au sein d’une mini-communauté qui peine à dépasser les conflits individuels entre ses membres.
Et c’est évidemment en cela que All of Us Are Dead se révèle passionnant, au-delà des limites du genre : si l’on se réjouit – et on frissonne – devant les nombreuses scènes de fuite (inutile) devant les zombies, de luttes au corps à corps (qui se terminent souvent mal pour nos héros…) ou de tentatives d’évasion (promises à l’échec), l’intérêt de la série réside plus dans la densité psychologique et la réflexion sociétale des discussions entre les lycéens, ou, à l’extérieur du lycée, dans un discours politique pas si superficiel que ça qu’amène la description accablante de la réaction des autorités militaires coréennes. La série passe longuement en revue les tares de la société : démission des parents vis à vis de leur progéniture ainsi que des enseignants vis à vis de leurs élèves, intensité croissante de la compétition, incompréhension et haine entre les classes sociales, indifférence individuelle vis à vis du sort des autres, abandon des plus pauvres et des plus démunis par les « premiers de cordée », arrivisme des politiciens impuissants, inhumanité des forces de police et des militaires, on en passe et des meilleures. Le portrait dressé de la Corée de 2021 est accablant, mais est-il si différent de celui qu’on pourrait faire de l’Europe ?
Les derniers épisodes s’avèrent terribles, entre les destins individuels tragiques des personnages auxquels nous nous sommes attachés, et surtout le spectre d’une « solution finale » qui permette au monde de continuer à « tourner » quitte à sacrifier la menace que représente une partie de la population, contaminée. On pourrait presque dire que, avec tous ses défauts de produit commercial standard et de K-drama aux codes bien établis, All of Us Are Dead atteint une étonnante profondeur.
Lorsque la série se termine, disons que l’on comprend le sens de son titre « apocalyptique » : nul besoin d’un virus ou d’une pandémie pour ça, nous sommes tous déjà morts.