Lucifer On The Sofa, 10ème album d’un grand groupe pas assez connu, les texans de Spoon. Maître de son art, le groupe déroule ses morceaux rock-blues, électriques et lascifs avec assurance.
Spoon, que voilà un groupe injustement méconnu ou, au moins, insuffisamment connu et qui mériterait de passer sur les ondes des grandes radios généralistes et de faire les couvertures des magazines ! Nous parlons quand même d’un mastodonte du rock qui pèse 10 albums studios, sortis pendant un peu plus d’un quart de siècle de carrière. Des albums qu’on se régale toujours de réécouter – l’énergie que dégage ce groupe est réjouissante – ou de découvrir et d’écouter quand il en arrive de nouveaux, comme ce bienvenu et excellent Lucifer On The Sofa (LOTS). Que ce soit l’occasion, pour celles et ceux que cela concerne, d’enfin rattraper le temps perdu et pour les autres de retrouver le meilleur Spoon. Car avec cet album, Spoon est à son meilleur, revenant aux sources, à l’essentiel de ce qui fait sa musique. Spoon revient à la maison !
Littéralement, d’abord, puisque Britt Daniel a déménagé à Austin après la tournée pour du précédent album, en 2018. Ce qui fait de LOTS le premier album du groupe enregistré à Austin depuis une bonne dizaine d’années. Musicalement, ensuite. Voilà remises en avant les rythmiques lourdes et sèches. Remises au centre de la scène les guitares électriques et repoussées dans les coins les machines qui encombraient un peu Hot Thoughts, leur dernier album (2017) – un album ni désagréable, ni inintéressant, ni mauvais au demeurant, mais un peu étrange et décalé dans la discographie du groupe. LOTS rappelle des morceaux tels que (pour mémoire parce qu’il est impossible de les citer tous ici) Mountain to Sound (1997), Plastic Mylar (1996) ou encore Small Snakes (2002); et même jusqu’au récent They Want My Soul (2014). Certes il y a des différences entres ces morceaux d’un autre siècle et ceux-ci : l’énergie est la même, mais elle sent plus le Sud, la sueur et la chaleur aride, le rock rugueux, âpre et électrique… Une énergie qu’on a hâte de voir se déverser sur scène (et quand on pense aux veinards qui les verront avec Geese en première partie, on ne peut être que jaloux !).
« J’ai passé beaucoup de temps à écouter ZZ Top en 2018 et 2019 » a reconnu Britt Daniel. Après l’écoute des deux premiers morceaux, on comprend mieux ce qu’il veut dire. Plongé dans la musique des barbus les plus célèbres du rock, il a su torcher des morceaux de « vrai rock » avec de « vrais morceaux de blues dedans ». C’est particulièrement clair avec les deux premiers morceaux, qui sont tout en guitares électriques et rythmiques lourdes et sèches : Held, une reprise de Smog assez méconnaissable, et The Hardest Cut, qui sera une des meilleures chansons de l’année. A moins que ce ne soit The Devil & Mister Jones, le troisième titre de l’album. Après un début tonitruant, le volume descend d’un cran mais le rythme reste soutenu, l’ambiance électrique et très langoureuse, lascive – entre la basse ronde et omniprésente, la voix suggestive, le solo de guitare ou de saxophone… Et une mélodie irrésistible. Trois premières morceaux quasiment parfaites.
Même si la barre est mise haut très vite, le reste de l’album suit. Spoon est maître de son art et sait touiller les ingrédients avec assurance pendant sur les sept titres qui suivent. Même quand on semble dériver vers quelque chose d’un peu plus pop – Wild –, d’un peu plus swinguant – Feels Alright ou On The Radio –, ce n’est qu’une apparence. Spoon se rattrape toujours quand on s’y attend le moins, réussissant à mettre un grain de sable qui fait dérailler la machine et donne au morceau un côté imparfait, bizarre, bancal. Un solo de guitare – On The Radio – ou de saxophone – Lucifer On The Sofa, le titre sur lequel se termine l’album.
Finalement, Spoon fait une musique plus intelligente, moins tranquille et moins facile que ce qu’il ne paraît de prime abord. C’est ce qui les rend intéressants.
Alain Marciano