Maud Lübeck – 1988, Chroniques d’un adieu : que la tristesse peut être belle

Un album de Maud Lübeck est la garantie de sentiments forts et difficiles, de textes raffinés et intelligents, de mélodies fines et subtiles. C’est encore le cas avec 1988, qui nous rappelle aussi qu’on n’écoute pas de la musique que pour le plaisir.

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© Ch. Lebruman

Ces chroniques d’un adieu sont d’une beauté étonnante, rare. C’est la très grande vertu de cet album, et c’est ce qui peut nous le faire chérir et écouter. Peut-être pas pour le plaisir qu’on ressent, mais pour la force des sentiments qu’il dégage, que la musique construit et transporte avec elle. Un coup de poing, comme l’Art devrait toujours l’être, qui nous détache heureusement de la frénésie fébrile du moment présent et nous rappelle que le fondamental est ailleurs. Un coup de poing, car cet album si beau est d’une très grande tristesse — je crois que l’album est bien au-delà de la mélancolie. Et d’une certain violence, malgré tout.

1988, Chroniques d’un adieu — Maud LübeckLe titre donne une indication. Chroniques d’un adieu à une époque, à des moments aimés, à des êtres aimés. Ouverture, « racontée » d’une voix blanche, neutre mais hantée par Irène Jacob, nous parle de la mort subite, accidentelle de celle qu’elle aime… Le ton est donné, puisque c’est effectivement le morceau qui ouvre l’album. Et peu d’éclaircies à venir. Le Voleur que veut rattraper Maud Lübeck sur l’avant-dernier morceau et qui lui a pris ces moments passés, bons et mauvais également, mais qu’elle regrette tellement de voir jaunis, affadis, disparus, n’est autre que le temps, ce temps qui « s’enfuit avec toute ma vie ». Regrets d’autant plus amers que le futur n’est pas plus réjouissant. Les lendemains chantés par Maud Lübeck sur le morceau éponyme ne sont autres que ceux qui s’ouvrent devant elle (nous aussi, ne nous leurrons pas), dont elle ne sait que faire, ces lendemains « incertains », « tristes à en mourir » ! . Quel que soit le côté – passé ou futur – vers lequel nos yeux, nos oreilles, nos sens se tournent, ils tombent sur des paysages dépeuplés, vidés par l’absence et la disparition. Le vide des adieux qu’on a fait, qu’on doit faire. Le vide de la perte. Pourquoi faut-il se quitter ? Pourquoi faut-il perdre ce qu’on a perdu ? Et quand ce sont d’autres couleurs, comme le bleu du ciel, cela devient déroutant – « Pourquoi le ciel est-il bleu un jour pareil ? » Comment supporter tout cela ?

Cette tristesse violente qui consume chaque morceau encore (presque) plus que sur le précédent n’est pourtant jamais brusque ou brutale. C’est de cette manière que Maud Lübeck nous séduit, nous captive, nous emporte : par la douceur. La douceur de la voix ou des voix. Celles des invitées — en plus d’Irène Jacob déjà mentionnée, Nicole Garcia et Clotilde Hesme participent à l’album — et, surtout osons le dire, celle de Maud Lübeck elle même. Tantôt fragile, tantôt profonde et chaude, vibrante. Pas enrichie, trafiquée, texturée ou améliorée. Humaine. Toujours. Mais comment faire autrement pour porter ses sentiments aussi forts ? La douceur du piano, seul – comme sur le splendide L’Éternité — en ouverture et en annonce des autres instruments – Un Jour sur terre, Aucune – et qui structure tous les morceaux mais sans faire oublier les arrangements de cordes si riches, si émouvants. La douceur de ces mélodies et de ces compositions intelligentes. Des classiques déjà, voilà ce que sont les 11 morceaux qui composent 1988. Si bien que quand l’album se clôt, sur le son d’un tourne-disque qui s’arrête, on n’a qu’une envie : se replonger dans son environnement, revenir ici et maintenant…

Classiques, les morceaux de 1988 le sont aussi parce qu’ils nous renvoient à un chanson française qui s’est peut-être perdue à force d’être revisitée et modernisée. Impossible de ne pas y penser à l’écoute de l’album. Des noms viendront nécessairement à l’esprit, pourquoi les citer ? L’auditeur reconnaîtra les siens, fera les connections avec une telle ou un tel. Et il admettra que que Maud Lübeck assume un héritage, reprend et porte un flambeau. Elle s’inscrit brillamment dans une tradition, reprenant des éléments de diverses périodes, qui permettent une continuité.

Cela fait aussi l’intérêt et la force de cet album.

Alain Marciano

Maud Lübeck – 1988, Chroniques d’un adieu
Label : Finalistes / Kuroneko
Date de parution : 11 février 2022