alt-J, l’un des groupes phares des années 2010 revient avec un nouvel album qui baigne plus dans les tendres années 90. Toujours aussi peu avare en expérimentation, le trio n’en oublie pas la candeur et la chaleur des compositions qui ont fait son succès. Mais le rêve pourrait s’avérer un peu trop brumeux et le réveil un peu trop douloureux.
Peu de groupes peuvent se pavaner en 10 ans de carrière et 4 albums de garder une qualité constante, souvent passés les émois d’un début en trombe, beaucoup de formations ayant émergées au début des années 2010 se sont ensuite cassé les dents à essayer de reproduire jusqu’à l’usure une recette magique. Après An Awesome Wave la tâche était donc titanesque pour alt-J qui avait marqué au fer blanc l’année 2012 (alors que la concurrence était pourtant folle : Kendrick Lamar, Lana Del Rey, Tame Impala ou Beach House pour ne citer qu’eux). Le rock alternatif se pare alors de mille et une teinte, devenant un genre de plus en plus dur à définir et reconnaître tant il s’écarte de ses origines pour lorgner vers d’autres contrées. On aurait pu avoir peur pour This Is All Yours où le leader Joe Newman annonçait avoir perdu toute ses notes dans un aéroport et donc recommencer de zéro. L’univers visuel de Relaxer à base de visualiseur de Playstation 1 avait de quoi laisser perplexe lui aussi. Et pourtant dans les deux cas c’est encore des réussites, à une allure respectable d’un album tout les deux-trois ans le quatuor devenu trio confirme son style tout en s’autorisant toujours des petites surprises. Des covers (House of the Rising Sun méconnaissable), des hidden tracks (Lovely Day qui met 12 insoutenables minutes à arriver) et même des featurings (la magnifique voix d’Ellie Rowsell sur 3WW). En commençant The Dream on sait donc que tout est possible et qu’on peut rêver de n’importe quelle fantaisie musicale.
A l’ouverture de Bane le chœur presque christique sur une guitare si « altjienne » laisse penser qu’on assiste à une véritable révolution. Que nenni nous sommes face à une simple intro bizarrement pas séparée comme morceau individuel. Peut-on vraiment s’étonner d’une chanson schizophrène de la part de la formation de Leeds ? Avec ses chœurs toujours persistants et ses ruptures brutales, Bane est presque taillé pour avoir la carrure d’un Adeline avec malheureusement un peu moins d’envergure. Et c’est peut-être là le problème de ce quatrième opus.
Un album d’alt-J pour peu qu’on soit client du groupe, c’est une pantoufle dans lequel on rentre à chaque fois avec plaisir. Au-delà des surprises dont on parlait plus haut, il y a une zone de confort où l’on retrouve la voix toute en modulation de Newman aussi douce et belle dans les graves que les aiguës, supplée par celle plus dure et imposante de Gus Unger-Hamilton le claviériste qui apporte des mélodies simples en apparence mais qui assoit toujours la douceur des morceaux. Enfin, la batterie dénudée de Thom Sonny Green à la limite parfois du math rock quand ce n’est pas simplement qu’un peu de shaker. Ajoutez des paroles toujours inspirées de thèmes surprenants (le film Léon, un livre de Richard Llewellyn, la ville de Nara au Japon), des chansons qui peuvent changer du tout au tout en une mesure et vous avez donc de quoi plaire pour encore des années et des années. Et il faut bien dire qu’à l’annonce du premier single U&ME nous étions en terrain conquis. Un refrain facilement chantable, de douces harmonies vocales en fond, quelques éléments de rupture, une batterie lente mais efficace et un univers visuel piochant à foison dans ce qui marche le mieux maintenant : les années 90. Sortez les bananes et les skateboards, alt-J se la joue cool kid.
Certainement pas la piste de l’album la plus tubesque puisque Hard Drive Gold et sa basse diablement accrocheuse resteront parmi les efforts les plus catchy du groupe. Le chanteur y multiplie les effets de voix souvent très drôles pour desservir un texte acerbe sur les crypto monnaie (preuve que même si l’album se veut rétro il est plus que jamais tourné vers l’actualité). Malheureusement peu de chansons sont aussi notables sur The Dream. Chicago et sa progression constante s’arrête pile au moment où aurait pu (aurait du) commencer le money time tout en instrument électronique comme on y est peu habitué avec alt-j. Philadelphia quand à elle joue beaucoup de ses instrumentations classiques ce qui pourrait fort laisser à penser à un Vampire Weekend et sa baroque pop mais la voix angélique en moins. Losing My Mind reprend cette idée d’une montée finale un peu trop insatisfaisante au vu du contenu du morceau. Et c’est en vérité toute la seconde moitié de l’album qui fait office de ventre mou avec bien trop de moments redondants et plats là où on attendrait les fameuses surprises comme un Breezeblocks ou 3WW en regorgent.
Il faut dire que tout les singles très bien choisis car efficaces sont presque tous placés dans le peloton de tête, ainsi on navigue entre un The Actor et son refrain plaintif sur guitare distordue à un Get Better qui narre dans une fragilité du plus bel effet un accident mortel. Non, alt-J n’a rien perdu de son talent et peut-être aurait-il juste fallu un simple ep. Aucune chanson n’est désagréable à l’écoute mais toute ne figureront pas dans le top 20 du groupe. Aussi on ne peut pas leur reprocher de s’être pressés avec cet album qui suit leur plus longue pause (5 ans même si Relaxer a bénéficié d’une version remix et une version rap) mais il est dur de prendre au mot Unger-Hamilton quand il affirme que quelque chose est mort sur Relaxer et renaît sur The Dream. Car leur précédent album semblait encore animé d’un feu sacré quand bien même certaines chansons pouvaient paraître désincarnées ou trop obscures alors qu’ici une certaine fatigue semble poindre le bout de son nez. Et nous, public français, ne pouvons que déplorer que pour la première fois aucune chanson ne fait figurer une phrase dans notre chère langue. Décidément, le photographe est mort.
Kévin Mermin