À peine deux ans après avoir pondu l’un des mètre-étalon du genre Thrash : Le superbe Rust In Peace, Megadeth est de retour aux affaires avec un nouveau skeud très attendu. Mais l’époque a changé, le vent Metal a viré de bord et ne souffle plus dans les voiles d’un Thrash Metal déjà vieilli. Metallica sort son Black Album et le Grunge cannibalise le Rock des 90’s. Il faut ré-actualiser son Rock pour prendre le virage si délicat du début des années 90. Megadeth va alourdir son Metal, délaissant son Speed historique pour un Heavy plus accessible, tentant de faire le lien entre les diverses ramifications du genre… mais sans jamais perdre son âme.
Faut dire qu’il était attendu de pied ferme celui-ci !
Deux ans que la bête a été lâché. Deux ans que la bombe Rust in Peace a explosé dans le petit monde du Thrash Metal et dans les ciboulots passablement enfumés des metalleux du monde entier.
Après l’intéressant mais inégal So Far, So Good… So What! où Dave Mustaine expérimente des mid-tempos inaccoutumés ou des riffs Heavy inédits, Megadeth va retourner au Thrash originel avec une puissance et une maîtrise technique décuplées. Rust in Peace va littéralement assommer le game en régénérant un genre qui tire en ce début des nineties ses derniers feux. De purs joyaux Thrash d’une beauté inaltérée – et inaltérable, et d’une sauvagerie électrique tétanisante. Holy Wars… The Punishment Due, Hangar 18 ou la sublime Tornado of Souls vont percuter à pleine vitesse un Thrash somnolent grâce à une technique instrumentale totalement maîtrisée, une production – enfin ! – à la hauteur, le feu intérieur rageur d’un Mustaine qui semble s’apaiser ou du moins se contenir et – surtout ! – la mise en place d’une line-up de fer avec le guitariste virtuose Marty Friedman et le solide Nick Menza à la batterie (Paix à son âme), Dave Ellefson le vieux pote gardant précieusement sa basse à cinq cordes. Tout ces éléments, une fois combinés, par une alchimie toujours recherchée et rarement atteinte, viennent construire l’album tant désiré dans un jeu d’équilibre délicat. Ce fil ténu qui permet de rester au dessus de la mêlée et d’atteindre à une sorte de perfection de la forme, cette formation a réussi à le tenir, avec une virtuosité rarement égalée dans ce Thrash Metal rugueux.
Cette line-up – Dieu merci ! – va résister aux excès stupéfiants et aux assauts mégalomaniaques du divin rouquemoute et va repartir en studios, soudés comme jamais, pour l’enregistrement de leur cinquième opus. Mais cette année 1992 n’est pas n’importe quelle année.
Le 9.2 reste un cru exceptionnel pour tous les amateurs de Rock en tout genres. Des albums mythiques voient le jour ( Rage against The Machine, Pantera et son Vulgar Display of Power, le Dirt d’Alice in Chains ou le Fear of the Dark d’Iron Maiden entre autres…) ainsi qu’un genre qui va cannibaliser le Rock durant quelques années: Le Grunge.
Le Thrash Metal est en perte de vitesse depuis le début des années 90 et se fait damer le pion par son petit frère très turbulent: Le Death Metal. Obituary, Morbid Angel, Deicide ou Napalm Death parviennent à signer sur des labels qui vont les propulser sur le devant de la scène.
Même le leader naturel de ce Thrash Metal installé depuis déjà quelques années, va emprunter un autre chemin. En effet, en 1991 Metallica sortait son Black album et abandonnait définitivement le Thrash pour un Rock Heavy plus accessible et ses Power Ballad bien couillues pour du slow langoureux. L’époque n’était plus au Speed, il fallait bien se rendre à l’évidence.
Deux ans auparavant Megadeth livrait le chef d’oeuvre du genre, aujourd’hui ce genre là semblait dépassé.
Thrash et Speed Metal n’avaient plus la côte en ce début des nineties, il fallait alourdir ses riffs, ralentir son beat pour forger le Metal du moment. Megadeth se rend compte de cet état de fait et va travailler dans le sens du vent. Un style plus Heavy dont ils ne sont pas tout à fait étranger puisque avec leur avant-dernier album So Far, So Good,…So What! le groupe, sur quelques morceaux (Notamment Mary Jane ou la sublime In My Darkest Hour.) s’était essayé à un Thrash plus lourd, oubliant un moment sa génétique propre.
Et puis cette haine de Mustaine envers ses anciens partenaires de Metallica n’est toujours pas éteinte; cette rancune tenace qui a finalement construit Megadeth refait soudainement surface semble t-il, avec le succès planétaire du Black Album et la notoriété galopante des Four Horsemen. Mustaine voit son ancien groupe exploser les records avec un Rock passe-partout et des slows tire-larmes et se dit que lui aussi, après la fin du Thrash, il se doit de rebondir avec un Metal qu’il sait également faire – et bien faire !
Le skeud s’ouvre sur Skin O’ My Teeth, morceau nerveux, agressif, suffisamment speed pour ferrer les tympans gonflés à la protéine Thrash des fans de la première heure. Mais c’est avec le titre phare de l’album (Symphony Of Destruction) que la nouvelle direction de Mustaine et sa troupe va véritablement se faire sentir.
Un orchestre symphonique semble s’accorder avant le début d’un concert quand tout à coup un riff qui fait trembler les vitres et t’enfonce un peu plus au sol à chaque aller-retour de poignet. Un riff lourd comme le fessard de Violet Myers vient te cueillir comme une vulgaire cerise et te laisse au fond du putain de panier, étonné que tu es de voir ce Metal lourd et boueux sortir de la gratte survitaminée de Mustaine et Friedman.
Des morceaux lourds et gras comme l’arrière-train de Marlène Schiappa il y en a pléthore dans le skeud (Foreclosure Of A Dream, Sweating Bullets, Captive Honour…). Mais ce n’est pas parce que Megadeth a ralenti le rythme des titres qu’ils en ont sacrifiés la qualité pour autant. Les titres, plus formatés, bénéficient d’une production de qualité et du génie de riffmaker de Mustaine. Le Speed des débuts n’est pas totalement absent du skeud des Californiens. Skin O’ My Teeth ou High Speed Dirt viennent accélérer la cadence en injectant une bonne dose d’adrénaline à ce Heavy Metal massif, pesant comme le soutif renforcé pèse sur les pauvre épaules de la belle Ava Adams.
Mais le temps n’est plus à la vitesse, fini le temps où Megadeth fermait les yeux et grillait les « Stop » à 200 à l’heure. L’âge est passé par là; une certaine gravité aussi peut-être.
Au fil des écoutes, il se dégage de cet album conçu pour la gagne une sorte de mélancolie, de tristesse intrinsèque. L’abandon de la jeunesse insouciante pour un monde d’adulte plus strict, moins fantasque où dorénavant tu vas être obligé de gagner ta vie comme une personne responsable. Abandonner la mort dans l’âme, comme ta prime amourette de collège, un Thrash Metal trop adolescent, trop incandescent pour durer éternellement. Des morceaux comme Foreclosure Of A Dream ou plus encore Countdown To Extinction par exemple distille un spleen – presque inédit ( Presque ! Car déjà en germe sur des morceaux comme My Last Words ou In My Darkest Hour) – qui tranche avec la froideur technique du groupe et son refus obstiné de toute sentimentalité dans un Metal qui n’est finalement pas là pour ça.
Un album de transition pour Mustaine et sa bande, le skeud d’une fin d’époque, du passage à l’ âge adulte. Abandonner l’adolescent sur le bord de la route, délaissant les idéaux de jeunesse devenus vieillis ou intenables pour un pragmatisme économique adulte forcément castrateur.
Un disque charnière dans la carrière du Meg’.
Le début des nineties marque une nette remise en question pour les maîtres du genre, la vague Thrash après avoir déferlé sur le Metal des 80’s est en train de refluer tranquillement laissant des groupes solides et expérimentés se faire titiller par le crasseux Grunge d’un côté et le hurlant Death Metal de l’autre. Ces formations encore jeunes paraissent déjà dépassées.
Il faut se réinventer, chercher de nouvelles voies, oublier – pour un temps peut-être – ce Thrash déjà vieillissant et tenter de rester à la pointe de ce Metal mouvant en constante évolution.
Certains y laisseront des plumes.
Megadeth pour l’instant semble réussir sa mue métallique.
Pour l’instant !
Renaud ZBN
Megadeth – Countdown to Extinction est paru le 14 juillet 1992 sur Capitol Records