À travers le sort et la répression des homosexuels dans l’Allemagne de l’après-guerre, Sebastian Meise livre avec Great Freedom une ode, âpre et bouleversante, à la liberté d’aimer.
Pour dire tout à fait ce que fut et ce que représenta, de 1871 à 1969, le paragraphe 175 du Code Civil allemand pour des milliers d’hommes, Sebastian Meise, réalisateur de Great freedom, résume ainsi la situation d’alors : «Imaginez un monde dans lequel l’amour est interdit par la loi et puni d’emprisonnement. Ce qui ressemble à une dystopie était la réalité des homosexuels en Allemagne jusqu’à la fin des années 1960. Le paragraphe 175 permettait à l’État de persécuter les homosexuels, ce qu’il ne s’est pas privé de faire». Ou l’on pourra voir aussi, ou revoir si l’on veut, le documentaire Paragraphe 175 de Rob Epstein et Jeffrey Friedman, sorti en 2001, qui donna la parole à plusieurs homosexuels rescapés des camps nazis et victimes d’une homophobie longtemps légitimée.
C’est à travers le personnage fictif d’Hans Hoffmann que Meise revient sur ce pan noir et douloureux de son pays. Un pays qui n’hésita pas, et alors qu’il se remettait à peine des horreurs du régime nazi, à envoyer en prison les homosexuels qui avaient survécu aux camps de concentration afin qu’ils y purgent et y terminent leur condamnation «légale». En matière de double peine et de déni de ses erreurs, on ne pouvait pas faire mieux. Hans, sur trois décennies, enchaînera donc les longs séjours en prison. Paradoxalement, c’est entre les murs, sous la contrainte, dans l’obscurité parfois, que le désir circule, paraît s’épanouir, résiste et se réinvente (souvenir soudain, et fugace, d’Un chant d’amour de Jean Genet), et qu’Hans tombera finalement amoureux, comme une sorte de pied-de-nez à ceux voulant lui interdire d’exprimer ses sentiments. D’être simplement lui-même.
C’est en jouant avec la notion d’enfermement (le film ne quittera que très rarement l’enceinte de la prison), les ellipses et les époques que Meise parvient à saisir une sorte de liberté (principalement celle d’aimer) n’ayant que faire du temps qui passe, s’affranchissant de toutes entraves par combines et par feintes. Une telle histoire ne peut, évidemment, que bouleverser et prendre aux tripes (ce qu’elle fait, en plus d’être magnifiquement incarnée par Franz Rogowski, intense à chaque seconde), et l’on regrettera seulement que Meise se soit laissé aller à un certain classicisme dans sa mise en scène sans tenter d’y apporter un peu de singularité ; du caractère.
Michaël Pigé