Si le nom de Cantet ne vient pas forcément à l’esprit quand on liste les grands réalisateurs français, la lecture du dernier ouvrage de Marilou Dupontel et Quentin Mével dans la collection « Face B » s’avère suffisamment instructive pour nous faire revoir notre opinion sur lui.
On connaît bien maintenant le principe des livres de la collection « Face B » chez Playlist Society : un long interview de fond d’un cinéaste, qui lui permet de passer en revue, un par un, tous ses films, couvrant en général aussi bien le contexte « historique » de chaque film (comment il s’inscrit dans la filmographie du réalisateur, mais également dans le contexte social, politique, intellectuel de son époque) que les thématiques qui le traversent, en passant par de nombreux aspects techniques – production, écriture du scénario, direction d’acteurs, mise en scène, montage… L’entretien est précédé par une copieuse analyse sur l’œuvre du cinéaste, permettant une mise en perspective globale de son importance, et assurant une sorte de « préparation » du lecteur, qui sera alors capable de mieux suivre le trajet qui sera ensuite explicité en détail. Bref, une structure efficace, qui autorise une lecture à plusieurs niveaux, que l’on soit simple cinéphile ou professionnel du cinéma : très courts, les ouvrages « Face B » se dévorent typiquement en une paire d’heures, et nous offrent un luxe rare à notre époque de verbiage incessant et de commentaires tous azimuts, celui de les refermer en nous sentant plus instruits.
Après Wiseman, Imbert, Salvadori, Donzelli et Belvaux (ce dernier ouvrage s’étant révélé particulièrement enthousiasmant), la dernière addition à la collection se penche sur le cas de Laurent Cantet, un réalisateur à la fois célébré (il est l’un de rares cinéastes français à avoir reçu la Palme d’Or à Cannes) et largement ignoré, tant par le grand public (on ne peut pas dire que son dernier film, Arthur Rambo, pourtant réussi, ait attiré les foules) que par maints cinéphiles, souvent plus occupés à célébrer des confrères US à la singularité pourtant moindre.
Bien entendu, la quasi simultanéité de la sortie en salles d’Arthur Rambo, a créé un effet d’actualité qui profitera, on l’espère, à ce Laurent Cantet – le Sens du Collectif, mais il nous permet aussi de revenir sur des films que l’on avait un peu négligés lors de leur sortie, comme Retour à Itaque, Foxfire ou l’Atelier. Car il nous faut bien admettre que, au-delà de la réussite majeure que fut son premier long-métrage, Ressources Humaines (qui est toujours à date son meilleur film) et de la fameuse Palme d’Or attribuée au pertinent – et risqué – Au-delà des Murs sur l’école républicaine confrontée aux défis sociétaux actuels, Cantet n’a pas toujours été pour nous non plus un auteur de référence.
Ce que l’analyse de Marilou Duponchel met en lumière, et qui sera détaillé et amplement confirmé au cours de l’entretien conduit par Quentin Mével, c’est l’extrême intelligence d’un cinéma qui questionne le rapport entre l’individu et la société, entre l’intime et l’universel, entre l’affect et la politique, comme finalement peu d’auteurs sont capables de le faire : de l’entreprise à l’école, en passant par les milieux artistiques, de Paris à la Ciotat en passant par Haïti et la Havane, c’est avant tout l’humain qui passionne Cantet, et non les systèmes et les idéologies (même si, bien entendu, le « politique » n’est jamais bien loin dans ses films). Et, tout à fait logiquement, c’est au niveau de l’interprétation de ses films, toujours irréprochable (même les détracteurs de ses films en conviennent…), souvent confiée à des non professionnels qu’il fait travailler collectivement, que Cantet s’investit le plus. Et qu’il fait la différence.
Comme à chaque fois qu’un tel ouvrage fonctionne, Laurent Cantet – le Sens du Collectif, nous donne très envie de jeter un regard nouveau, différent, plus informé, sur les films qui sont analysés et dont la génère nous est expliquée avec un mélange impeccable de précision et d’enthousiasme. Ce n’est pas la moindre de ses qualités.
Eric Debarnot