Le fondateur des Last Poets, entre passé et futur, introspection et perspective. Gratitude est un hommage aux figures des droits civiques et aux lieux qui ont forgé l’histoire afro-américaine. C’est aussi une passation de relais avec de jeunes artistes activistes.
Membre fondateur des Last Poets, Abiodun Oyewole, 74 ans, a derrière lui plus de 50 ans d’engagement pour les droits civiques américains. Son dernier album Gratitude est à l’image du personnage : nourri de l’amour des rencontres, enrichi des luttes passées et présentes. En deux mots : sincère et authentique.
La première écoute emporte directement l’auditeur. Les nombreux styles musicaux y sont pour beaucoup. Chacun y trouvera sans difficulté un titre qu’il appréciera plus qu’un autre. C’est aussi ça le bénéfice de l’âge ; connaitre et être influencé par les plus anciens, puis être reconnu par la jeune génération. Ces artistes d’aujourd’hui qui viennent autant actualiser la musique d’un « papy » que s’inscrire dans l’histoire d’une icône de musique noire américaine.
Abiodun Oyewole nous convie à une errance dans son New York natal. Le parcours commence sous la pluie. Rain est une mise en bouche toute en délicatesse et symbole d’un espoir à venir. Le second titre My life dresse un autoportrait d’un artiste engagé apaisé. Les présentations sont désormais réalisées, l’histoire se poursuit.
Au gré des quartiers emblématiques, la poésie de l’artiste est au service de l’éveil des consciences. Le magnifique Harlem plonge de nouveau les auditeurs dans ce qui a construit la légende des Last Poets : un spoken-word précis, percutant et poétique. Ce style reconnaissable entre tous amènera avec lui l’ombre respectueuse de Gil Scott Heron dont on raconte que, totalement bouleversé à l’écoute des premières sorties des Last Poets, il viendra demander à Abiodun l’autorisation d’utiliser ce phrasé si caractéristique. Si Gil Scott Heron nous a quitté trop tôt, il est plus que temps de profiter de ce que cet album nous offre aujourd’hui : un espace traversant entre passé, présent et futur.
Brooklin est également à l’honneur. Le jeune rappeur, artiste d’origine Soudanaise Ade accompagne Abiodun dans un des plus beaux morceaux de l’album.
Existerait-il une seule création afro-américaine sans référence à la religion ? Praise the Lord est beaucoup plus ouvert qu’il n’y parait. Il est question de spiritualité, de forces de la Nature dont l’Homme a besoin pour se tenir droit.
Retour aux fondamentaux politiques avec le très engagé Occupy en référence au mouvement new yorkais de contestation contre la finance dévastatrice. Ici aussi, Mosi, un jeune rappeur vient épauler Abiodun dans un titre aux allures de passage de flambeau.
Pour donner définitivement envie d’aller se mettre entre les oreilles cet album très réussi : What I Want to See est sans conteste la plus dépouillée de toutes les pistes : une percussion, la voix. Téléportation immédiate dans les appartements enfumés des années 1960 avec tous les activistes afro-américains qui ont fait l’Histoire.
A nous auditeurs d’exprimer toute notre Gratitude envers cet artiste au parcours exemplaire.
Nicolas DUQUENNE