Pour Piccolo corpo, Laura Samani s’est inspirée des récits anciens des « sanctuaires du souffle » pour livrer un beau film ancré à la fois dans une âpre réalité et un mysticisme diffus. Troublant.
On dit qu’il existe un endroit, là-bas dans les montagnes, on dit qu’il y aurait un sanctuaire. Ce sanctuaire où Agata veut aller, ne pouvant se résoudre à l’idée que l’âme de sa fille, morte à peine sortie d’elle, soit condamnée à errer dans les limbes. Ce sanctuaire où sa fille pourrait être ramenée à la vie pour, le temps d’un souffle, être baptisée ; échapper aux ténèbres ; avoir une sépulture chrétienne. Ce sanctuaire où l’on ferait des miracles. On dit qu’il existe. Alors Agata, quand tous, dans ce petit village de pêcheurs de l’Italie du début du vingtième siècle, ont accepté le malheur qui a frappé, décide d’entreprendre seule le voyage malgré les risques, malgré sa douleur, cette perte. Sa fille dans une boîte en bois portée sur son dos, elle part à la recherche de ce prodige.
Laura Samani s’est inspirée des récits de ces «sanctuaires du souffle» qui, jusqu’au dix-neuvième siècle, auraient été des lieux de miracles, et surtout de légendes. Dans ce monde d’antan, ce monde à l’écart pétrit de superstitions, de rituels et de traditions, elle suit à la trace cette jeune mère prisonnière de sa souffrance mais sûre de ses croyances. Sa rencontre avec Lynx, presque son contraire, femme et homme en même temps, sans attaches, en révolte parce que rejetée par sa famille comprendra-t-on, va bouleverser un peu plus encore le chemin de son existence et les lignes de son périple. Périple d’abord physique, tellurique à la limite, en prise toujours avec la Nature et ses éléments, eau et terre en particulier, puis transcendantal (le dernier quart d’heure, magnifique) quand survient ce passage «d’un autre côté», vers une autre rive (la barque et son passeur, tel Charon). Impossible alors de ne pas penser au splendide Two gates of sleep qui se construisait de la même façon, des mêmes intentions et des mêmes éclats esthétiques.
Samani livre une sorte de conte ancestral qu’elle sait ancrer à la fois dans une âpre réalité, celle de la campagne reculée de l’Italie en 1900 bercée des chants traditionnels du Frioul, et dans un mysticisme certes diffus, mais qui paraît tout conditionner, le quotidien et ses habitudes, des pensées au moindre geste. Elle y évoque également la place des femmes (les hommes ici sont absents), individuelle bien sûr à travers les personnages d’Agata et de Lynx (Celeste Cescutti et Ondina Quadri, fascinantes), mais aussi comme énergie plurielle, un clan, tenantes de savoirs transmis, d’une vérité. Au milieu de paysages rudes et beaux, irrigué par la force et la grâce tragique de son récit, le film nous porte, et même s’il met du temps, si au début il a du mal à s’engager, au-delà d’une simple vision, d’une simple réflexion sur le deuil ; vers l’espoir, et l’amour, faisant fi de la mort.
Michaël Pigé