[Interview] Maud Lübeck : « Cet album s’est nourri de ma colère »

Faire d’un journal de deuil un album lumineux et chaleureux ? Un paradoxe ? Une contradiction ? Oui et non, c’est 1988, Chroniques d’un adieu, le denier album de Maud Lübeck qui nous explique comment elle a réussi ce tour de magie musicale.

Maud-lubeck
© Ch. Lebruman

Alain / Benzine : Merci de m’accorder cet entretien. C’est un vrai plaisir ! Un album que j’ai beaucoup aimé et qui marche bien pour le moment, en tout cas on en parle beaucoup.

Maud Lübeck: Oui, je suis très heureuse de ces échos.

Benzine : Pour commencer, l’album semble très organique, avec une présence très forte du piano. Comment est-ce que tu l’as composé ?

Maud Lübeck: J’avais décidé de composer l’album sans mon ordinateur, contrairement aux précédents, seule avec mon piano. Je voulais partir de cette base là. Ce qui a un peu changé la donne, c’est l’arrivée du premier confinement où je me suis retrouvée confinée sans mon instrument. Du coup, j’ai dû tricher, rires. Je me suis retrouvée avec un clavier maître de 4 octaves branché à mon ordinateur. Ça a donné des morceaux plus répétitifs, des boucles, comme Non, En Parallèle ou Était-ce toi ?, où le piano est moins élaboré.

Benzine : L’album aurait sonné différemment si tu n’avais utilisé ton ordinateur ?

Maud Lübeck: Ces morceaux ne seraient peut-être pas nés, où pas dans cette forme répétitive. On ne compose pas pareil avec 7 ou 4 octaves. Mais au final j’en suis très contente. Rires.

Benzine : Il y a des morceaux dans l’album dont tu es plus contente que d’autres ?

Maud Lübeck : J’ai eu ma période En parallèle. Après, ç’a été Était-ce toi, et maintenant Aucune… j’ai l’impression que ça change tout le temps. Mais ils ont tous eu leurs moments, leur place privilégiée.

Benzine : Ce n’est pas très étonnant, puisque l’album se veut celui de tes 15 ans, 1988. C’est un tout, donc c’est difficile de dire qu’il y a un moment préféré à l’autre. Tu as sélectionné certains moments de cette année là pour écrire l’album donc forcément tous ces moments sont importants.

Maud Lübeck : C’est ça, tous les moments sont importants. Mais, musicalement, mon plaisir à écouter l’album maintenant n’est pas attaché à cette histoire. Aujourd’hui, quand je l’écoute, c’est en touriste, comme quelqu’un qui découvrirait les morceaux. C’est presque seulement maintenant que je les entends. J’ai fait une émission sur France Inter récemment dans laquelle ils ont passé le premier titre, le morceau d’ouverture. Je ne m’y attendais pas du tout, et j’ai eu l’impression que j’entendais ce texte pour la premier fois. Ça m’a émue, ça m’a impressionnée d’entendre cette histoire. C’était très bizarre. Pendant la phase de travail, je ne suis que dans l’analyse. Maintenant, je commence à m’en détacher suffisamment pour pouvoir avoir du plaisir à écouter les chansons. Et j’ai aussi un vrai plaisir à les jouer.

 

Benzine : Quand tu dis que tu as été émue par le morceau, tu veux dire que tu as été émue par le souvenir ou par le morceau lui-même ?

Maud Lübeck : Un petit peu tout. J’ai l’impression que j’ai fait cet album sans réaliser ce que je faisais.

Benzine : LA question, c’est : se mettre à nu ; tout artiste le fait, mais cet exercice là, très particulier, que l’auditeur connaît parce qu’il sait ce dont parle l’album. Comment on fait pour se mettre à nu de cette façon, si courageusement ?

Maud Lübeck : Je crois qu’il ne faut pas réfléchir. Rires. Je suis quelqu’un de très pudique et j’ai gardé cette histoire pour moi pendant très longtemps. Je m’étais fait la promesse quand j’avais 15 ans d’en faire un jour quelque chose. Je voulais rendre hommage à cette personne que j’avais aimée et cette promesse a été plus forte que tout. Je ne me suis pas posée la question de cette mise à nu, sinon j’aurais cherché à m’habiller, à me couvrir. C’est important de parler de choses profondes, intimes pour dire l’essentiel. Ça me semblait important de parler de cette histoire parce que je trouve que c’est une belle histoire. Après, quand je suis en train de construire cet album, je suis dans l’excitation du travail, je suis dans la concentration. Je ne réalise pas du tout ce que je suis en train de faire. C’est pour ça que je peux être à la radio, entendre une de mes chansons et être émue en ayant l’impression de l’entendre pour pour la première fois.

Benzine : Donc, le point de départ, ce sont les textes, les paroles et la musique s’ajoute par dessus ?

Maud Lübeck : Non, en fait, tout est venu en même temps. Je voulais faire un album inspiré du journal intime de mes 15 ans, transformé en journal de deuil. Mais je savais exactement les thèmes que je voulais aborder dans cet album. Je voulais suivre les étapes de deuil, ces étapes que tout le monde rencontre, avec le choc de l’annonce, cet espèce de vertige, cette tristesse qui suivent. J’avais une idée précise de ce que je voulais faire. Et relire ce journal m’a fait remonter des souvenirs, des souvenirs restés intact. J’ai laissé tout cela mûrir. Ce qui fait que tout est venu d’un coup, les mélodies, les textes. C’est un album que j’ai écrit en très très peu de temps. En 3 mois, c’était fini. En sachant qu’il y avait plus de morceaux que ce qu’il y en a dans l’album. J’avais 15 titres.

Benzine : Tu as un studio chez toi ?

Maud Lübeck : Mon home-studio, c’est mon piano avec mon ordi posé dessus, un micro. Ça me suffit.

Benzine : Les arrangements ont été fait plus tard ?

Maud Lübeck : C’est principalement pendant le deuxième confinement que j’ai décidé de la couleur que je voulais donner aux morceaux, que j’ai retravaillé les arrangements de l’album. De façon très poussée. Quand je maquette mes albums, ils ont l’air d’un album fini ! C’est comme mes albums précédents, j’ai tout fait avec mon ordinateur. Donc, là j’ai fait ça aussi, mais comme j’avais très très envie de travailler avec des musiciens pour rendre cet album vivant, je les ai dirigés avec la maquette que j’avais faite. Les musiciens n’avaient qu’à suivre les « partitions ». Tout était écrit.

Benzine : Donc, il y a eu peu de modifications lors de l’enregistrement?

Maud Lübeck : Il n’y avait pas d’espace pour ça. J’avais envie de travailler avec ces musiciens là, d’avoir leur interprétation, leur son mais après, il n’y avait pas d’espace de création à proprement parler.

Benzine : En parlant de son, est-ce que l’album sonne d’une façon particulière, est-ce qu’il y avait l’envie de sonner d’une façon d’une façon particulière ?

Maud Lübeck : Je voulais ramener de la lumière. Je voulais qu’ils sonne pop. Après, ça dépend des morceaux, Mes Lendemains, par exemple est très pop. Il y a des titres que je voulais plus élégants. Rires. Je voulais un album qui soit chaud et lumineux.

Benzine : Tous les morceaux sont élégants, sophistiqués, mais lumineux…

Maud Lübeck : Tu dirais quoi ? Quelle couleur tu lui donne à cet album ?

Benzine : J’ai trouvé l’album sombre, mais rassurant à écouter

Maud Lübeck : Oui, j’avais envie qu’il soit doux, qu’on ait envie de se blottir à l’intérieur…

Benzine : C’est exactement ça…

Maud Lübeck : Voilà. En fait, ce sont des sensations que j’avais et, en mixage, j’ai besoin de retrouver ces sensations. C’est compliqué à communiquer à un ingénieur du son. C’est pour ça que j’ai aimé travailler avec Katel qui a dirigé mes voix et qui a participé au mixage de l’album. Je sentais qu’elle comprenait exactement où je voulais aller en termes de couleur. C’est dur de transmettre ces émotions. En fait, un album, selon la façon dont il est mixé, n’embarque pas du tout au même endroit.

Benzine : Le qualificatif de pop ne me serait pas venu directement à l’esprit…

Maud Lübeck : Quand je dis « pop » je pense au son de la tradition pop d’antan. C’est plus un Melody Nelson, ou Elton John

Benzine : Le son, c’est le son de l’époque où tu as voulu faire le disque ?

Maud Lübeck : Non, c’était plus le son des années 1970, que j’adore. J’imagine que les sons qu’on entend enfants, ce sont des sons rassurants… ça dépend de notre enfance évidemment. J’adore François de Roubaix. Je suis sûre que c’est parce que ce sont des sons, des mélodies où je me sens bien. Ça me rappelle cette époque là, ça me rappelle mon enfance. Puisque moi dans cet album, j’avais envie qu’on se sente bien, j’ai eu envie d’aller vers les sons dans lesquels moi je me sens bien, retrouver cette atmosphère. Barbara, aussi, je l’écoutais quand j’étais enfant. Je me sens bien avec Barbara. Elle peut me raconter ce qu’elle veut. Même la chanson la plus triste du monde, je me sens bien à l’intérieur.

Benzine : C’est un peu ça le sentiment de l’album. C’est ça ce côté très rassurant, triste mais rassurant. Ce n’est pas forcément immédiat de ce sentir bien dans une chanson triste. En parlant de chant… comment les actrices qui chantent avec toi sont-elles arrivées sur l’album dans le projet ?

Maud Lübeck : Au moment où j’ai fait cet album, je ne pensais pas du tout aux duos. C’est venu après. Je voulais qu’on entende que je parlais d’une histoire. Je voulais vraiment qu’on rentre dans un film en écoutant l’album. Pour moi, c’était le film d’une époque. Inviter des comédiennes, c’était aller dans ce sens là. Insuffler des images. Leurs voix amènent cela.

1988, Chroniques d’un adieu by Maud Lübeck

Benzine : Il y a une dimension chronologique aussi dans l’album qui renforce cette histoire…

Maud Lübeck : Oui, c’est un tout. Il y a la chronologie des événements, les arrangements et la présence des comédiennes. Je suis contente que ça fonctionne. En tout cas, c’est ce que je ressens quand j’écoute les morceaux.

Benzine : Et les choix des actrices s’est fait naturellement ?

Maud Lübeck : Oui, j’ai eu la chance de connaître des personnes qui les connaissent. Je voulais les inviter elles, spécifiquement. Elles me ramenaient d’une façon où d’une autre à mes 15 ans. Nicole Garcia, parce que j’étais fan à cette époque. Irène Jacob et Clotilde Hesme parce qu’elles avaient joué dans des films qui raisonnaient avec mon histoire et qui m’avais profondément marquée (La double vie de Véronique et Les chansons d’amour). Ça faisait sens.

Benzine : Tout était très construit, très planifié ?

Maud Lübeck : Oui, les choses étaient bien faites. J’aime bien quand les choses vont de soi, quand ce n’est pas laborieux, quand c’est simple. C’était simple de les contacter. Tout semble naturel. Tout allait de soi avec cet album.

Benzine : Justement, si cela va de soi, comment est venu le fait de faire cet album là, à ce moment-là ?

Maud Lübeck : En fait, c’est une vraie question, rires, ça me travaille ! Ce n’est pas rien cet album, d’honorer ma promesse. Ça me faisait peur ! Il ne fallait pas que je me plante. Mais pourquoi là, à ce moment-là ? En plus il fallait oser faire un album qui parle de la mort de l’être aimé ! Il faut croire que j’étais prête pour cela. Que c’était le moment. Et puis, j’ai réalisé que la seule fois de ma vie où j’ai tenu un journal intime était en 1988. Et comme mes deux albums précédents étaient des chroniques, rouvrir ce journal maintenant était une suite logique. J’avais une matière qui me permettait de faire un album qui soit la suite des albums précédents.

Benzine : Il n’y a pas eu d’hésitations ?

Maud Lübeck : Non. J’ai senti que c’était le moment. Et puis, je ne pouvais pas attendre indéfiniment… je prends de l’âge, rires !  Tout était très fluide. Il fallait juste oser y aller…

Benzine :  Et comment est-ce que cela se passe entre les albums ? L’album d’après se présente comment ?

Maud Lübeck : Là, ça commence déjà à y travailler ! Ça travaille. Il y a toujours un espace pour ça. Dès que j’aurai plus de temps à consacrer à un nouveau projet, je serai prête. Et ça ira très vite. J’aime bien quand ça va vite.

Benzine :  Est-ce qu’il y a des choses qui t’influencent dans ton processus de création ? Des éléments extérieurs ?

Maud Lübeck : … il y a une nourriture, forcément. Pas forcément de musique parce que, comme j’en fais beaucoup et que la musique prend de l’espace, j’ai tendance à avoir besoin de silence, de passer du temps en dehors de la musique quand je n’en fais pas. Je passe plus de temps au cinéma qu’à voir des concerts. Je fais des expos, je lis et ça travaille, ça me nourrit. Après, en période de création, j’ai tendance à me couper un peu de tout.

Benzine : Et l’influence d’événements sociaux, plus que personnels, de l’environnement au sens large ?

Maud Lübeck : Oui et non. Si, parfois, ça m’influence. Par exemple, je sais que si j’ose plus facilement parler de cette histoire qui parle quand même de l’amour d’une jeune fille pour une autre jeune fille aujourd’hui, si j’arrive à l’imposer c’est parce que j’ai été extrêmement choquée par ce que j’ai pu entendre au moment du mariage pour tous… Cet album s’est nourri de ma colère en réponse à des événements sociaux. Dans ce sens, ça peut m’influencer. Ne plus supporter de me taire. Sinon, je ne suis pas dans la chanson réaliste ! La musique me permet justement de me couper de tout le reste.

Propos recueillis par Alain Marciano

Maud Lübeck – 1988, Chroniques d’un adieu : que la tristesse peut être belle