Deux ans au bas mot que nous attendions ce moment, le retour de nos chers IDLES sur les scènes parisiennes, un retour reporté 3 fois du fait de la pandémie ! Inutile de dire que notre niveau d’impatience était stratosphérique vis-à-vis de cette réapparition d’un groupe essentiel de notre époque, et ce d’autant que ces deux années ont vu IDLES élargir leur spectre musical au-delà de leur punk rock / post punk original, et gagner aussi en visibilité, en particulier de l’autre côté de l’Atlantique.
Curieusement, à l’ouverture des portes de l’Elysée Montmartre, à 18h30, la queue n’est pas très longue, alors que ce premier concert sur les deux organisés est sold out depuis longtemps. Sans doute les Parisiens se sont-ils découragés devant l’annonce de deux premières parties !
Et ils ont eu grand tort, car, à 19h10, c’est Porridge Radio, le groupe de la charismatique Dana Margolin qui ouvre la soirée ! Porridge Radio est responsable de l’un des meilleurs albums de 2021, largement ignoré malheureusement par le public, Every Bad, qui est déjà le cinquième du quatuor de Brighton. On remarque tout de suite que la bassiste Maddie Ryall est assise, et Dana nous explique qu’elle s’est foulée la cheville, mais qu’elle a tenu évidemment à être là pour servir le Rock’n’Roll. Dès l’intro, ultra-émotionnelle de Born Confused, qui culmine avec la répétition épuisante de la phrase « Thank you for making me happy », le terrain sur lequel joue Porridge Radio est bien clair : si l’on peut parler d’indie rock, on a surtout affaire à l’exploration très intense de sentiments forts, perturbants, par une jeune femme littéralement écorchée vive. La tristesse et la beauté qui se dégage de ses chansons peut même évoquer par instant les plus beaux moments de The Cure, dans un genre musical différent puisqu’on a affaire ici à un rock tranchant, nerveux et souvent à la limite de la brutalité. On remarquera quelques petits couacs techniques, une guitare pas accordée, un faux départ sur une chanson, et surtout – gag – un changement dans la setlist pas qui n’avait pas été annoncé au batteur ! C’était un peu étonnant pour un groupe expérimenté, mais ça n’a nullement gêné le plaisir. A noter aussi un nouveau titre, Back to the radio, très convaincant. Le final du set est remarquable avec l’intense Sweet (« she will love me when she meets me, I am charming, I am sweet »). 30 minutes incandescentes, qui démontrent qu’il faudra être là à la Boule Noire le 3 avril prochain pour un concert complet.
C’est un autre son de cloche, malheureusement, qui nous attend quand à 19h55, les New-Yorkais de Bambara entament leur set : on est face à un post punk survolté, porté par un son imposant (même si brouillon par instants, surtout au début) au milieu duquel on distingue une section rythmique impressionnante, mettant en valeur avec un batteur remarquable, Blaze Bateh. Blaze est le frère du chanteur, Reid Bateh, qui aime visiblement beaucoup Nick Cave… soit la meilleure référence du monde, mis à part qu’il lui faudrait certainement une meilleure voix, sans même parler d’une vraie présence scénique : il ne suffit plus depuis longtemps d’avoir l’air arrogant et supérieur pour incarner sur scène le Rock’n’Roll ! L’autre problème de Bambara est l’absence de morceaux vraiment intéressants ou même seulement originaux. Du coup le set ne repose que sur sa puissance de feu, avec quelques accélérations il est vrai saisissantes. On notera quand même Serafina, l’avant-dernier morceau, plus simple, plus « lisible » et plus plaisant. Nous nous sommes bien ennuyés même si l’honnêteté nous oblige à reconnaître qu’une partie – non majoritaire – du public a semblé apprécier…
Avec 5 minutes d’avance sur l’horaire prévu, c’est donc à 20h55 que IDLES investissent la scène devant un public désormais au complet, et très, très chaud. Au premier rang, à la crash barrier, nous sentons déjà qu’il va nous falloir lutter pour préserver notre espace vital et garder un minimum d’oxygène dans nos poumons compressés. Le service d’ordre se prépare de son côté à une soirée de travail intense : nous sommes à un VRAI concert de « fucking Rock’n’Roll » ! Aucun doute là-dessus.
En sachant que le set débute par l’impressionnant Colossus, comme il y a plus de deux ans de cela, et se terminera une heure trois quart plus tard par un tout aussi « habituel » Rottweiler, on pourrait penser que peu de choses ont changé chez IDLES. Ce serait une erreur, car entre les deux titres emblématiques, c’est un groupe différent, jouant une musique sensiblement différente que nous voyons et écoutons. Un groupe plus mûr, plus professionnel sans doute, avec un son plus carré, plus imposant : plus de matériel sur scène, des lumières plus travaillées, on sent que IDLES parviennent à une sorte de consécration. Quant au contenu de la setlist, 10 des 21 titres joués ce soir sont tirés de Ultra Mono et CRAWLER, les deux derniers albums jamais encore interprétés à Paris, des chansons plus sombres, moins punks, plus complexes, qui impriment au set un rythme moins frénétique… Même si, ne vous inquiétez pas, les occasions de pogoter n’ont pas manqué, avec les classiques que sont Mother (« fucker ! » hurlé en chœur, ça fait du bien…) ou Divide and Conquer, et surtout I’m Scum, plus beau moment de folie furieuse de la soirée.
On n’aura pas pu s’empêcher de remarquer aussi que Joe Talbot était remarquablement calme ce soir, qu’il semblait savourer pleinement, presque avec sérénité, le sentiment du « live », et qu’il était souvent comme dans une position de recul admiratif devant un Mark Bowen, irrésistible en robe blanche, qui assumait quasiment à lui seul la folie du groupe. Il y eu d’ailleurs un très long moment, assez étonnant et clairement pas planifié, où Mark, dressé sur la barrière et soutenu par les videurs et les fans, fit face à l’enthousiasme véhément du public, tandis que Joe contemplait le tout avec un sentiment de bonheur lisible dans les yeux.
Sinon, notons la participation bienvenue de Jenny Beth pour chanter Ne Touche Pas Moi, et, bien entendu, le paroxysme émotionnel inchangé de Danny Nedelko. Ceux qui criaient « Ukraine ! Ukraine ! » ont sans doute été déçus de l’absence de « statement » de IDLES sur la guerre qui fait rage en Europe, mais ce n’est pas réellement surprenant de la part d’un groupe plus engagé socialement que politiquement, en fait.
Bref, on peut toujours regretter les punks furieux d’il y a cinq ans, mais IDLES reste un groupe incroyable. Et hors du commun, grâce à la simplicité, la joie, la pure humanité que dégagent aussi bien leur musique que leurs facéties sur scène.
Photos : Robert Gil
Texte : Eric Debarnot