Voilà presque 10 ans que le duo montréalais des Deuxluxes existe, et en dépit d’un talent indiscutable, confirmé par des albums assez irrésistibles comme leur second, Lighter Fluid, Anna Frances Meyer et Étienne Barry restent largement inconnus dans une France pourtant en général accueillante vis à vis de ceux qui portent bien haute la bannière du Rock’n’Roll pur et dur…
Après un premier set la veille au Centre Culturel Canadien (devant un public assis, ce qui nous a refroidis), les voilà ce soir en tête d’affiche dans notre très cher Supersonic, pour un concert que nous n’aurions manqué pour rien au monde.
20h30 : On commence avec Dr.PÂÂLE, annoncé par le Supersonic comme le premier « one man band » de la soirée : guitare à la main et batterie aux pieds… Le bon Docteur, qui est « là pour nous soigner » démarre son set dans un registre assez blues rock, mais très vite, on réalise qu’il chante en espagnol et que les rythmes sont chaloupés et dansants. Oui, on se balade rapidement avec lui dans une Amérique Centrale de rêve, certes électrifiée mais qui n’a nullement tourné le dos à son sens naturel de la fête. Quelques parties de guitare non dénuées de virtuosité rassurent les plus puristes d’entre nous : groovy, funky, latino, oui, mais cette musique est aussi du rock’n’roll. Au bout de 30 minutes, le Docteur annonce son dernier « son », Candela, sans doute le plus accrocheur, mais qui révèle aussi les limites paradoxales de ce mix entre un blues rock peut-être pas assez lourd et des rythmes afro-cubains pas assez légers. Mais il est rejoint sur scène par trois musiciens qui vont, grâce à leur dynamique de groupe, conférer une belle puissance additionnelle à la recette du Docteur. Avec un trompettiste jazzy bluffant et un batteur qui envoie, la musique de Dr.PÂÂLE prend alors son envol !
21h30 : On a une surprise, et pas une bonne, quand VIGOR HUGO, seul sur scène, attaque son set sur du hip hop bas de gamme, avec auto-tune et compagnie, et paroles en français pleines de clichés (la thune, ma life, le genre) : on est où, là ? Consternation générale dans le public. Le petit mec, lui-même, plutôt sympa, explique qu’il ne sait pas ce qu’il fait là, dans un club de Rock, pour son « premier concert de rap » : il a semble-t-il changé de style de musique, lui qui était annoncé comme jouant du blues rock. Bon, sur une chanson d’hommage à Johnny Halliday – si ! – il prend une guitare pendant 30 secondes. Plus tard, il nous offre de la chansonnette pop auto-tunée, il plaisante sur le rock (de la musique d’images y a 150 ans !) avant de se lancer – enfin – dans un blues rock classique, avec harmonica à l’appui. Puis il passe au rap violent, pour dénoncer les poussettes qui bloquent les trottoirs (si ! si !). Son objectif était-il de nous montrer sa versatilité, ou bien au contraire de nous provoquer ? Le jury délibère encore. Mais dans les deux cas ce n’était absolument pas convaincant.
22h30 : on est l’année du tigre, célébrée ce soir par les Deuxluxes qui portent de splendides et très kitsch combinaisons tigrées. Mais, surtout, on est aujourd’hui le 8 mars, journée internationale de la femme, et il est difficile de mieux la célébrer qu’avec Anna Frances, symbole parfait de la femme dans tous ses états : rockeuse sexy et provocante assumant tous les fantasmes/clichés de nos Wet Dreams adolescents, maîtresse femme qui dirige son mari à la baguette sur scène (et le raille quand il n’arrive pas à la suivre ou a du mal à accorder sa guitare alors qu’elle a déjà démarré le morceau), « madame loyale » excessive d’un cirque généreux où le public est caressé dans le sens du poil, complice/copine pleine d’humour etc. etc. Du charisme à en revendre, une voix qui déchire – on peut penser par instants à Pat Benatar -, un jeu de guitare tranchant : oui, Anna Frances est une sorte de rock’n’roll dream à elle seule.
Etienne, lui, est (ou plutôt semble être) aux ordres et reçoit en retour les petits mots d’amour de sa compagne tigresse. Assis devant un embryon de batterie, il bat la mesure, mais fait surtout un boulot fantastique à la 6 cordes, responsable à lui seul de quasiment toute la texture de la musique. Et la musique, alors ? un blues rock mélodique – mais moins que sur le second album, qui a parfois des aspects power pop – souvent débité à un rythme infernal (un seul morceau sur un tempo moyen en milieu de set !).
Anna Frances tranche, taillade dans le vif sur ses deux guitares inhabituelles à 4 cordes, au son rêche et presque simpliste, enrichi régulièrement à la pédale wah wah. Avec son délicieux accent québécois et son exubérance joyeuse, elle occupe parfaitement le temps et l’espace : on a à peine pris nos marques dans la tourmente qu’elle nous annonce que le set est bientôt fini. Heureusement, c’est une reprise intense et profondément revisitée du Loose des Stooges que les Deuxluxes nous offrent, et ce sera l’un des moments les plus magiques du set.
Un rappel de deux titres (Encender et So Long, Farewell) accélère encore le rythme jusqu’à une parfaite explosion de riffs méchants. Et voilà, c’est fini. Un peu moins d’une heure de pur rock’n’roll. Qui ne révolutionner rien. Mais qui fait quand même passer un sacré bon moment.
Anna nous promet qu’ils reviendront bientôt, et on en accepte avec joie l’augure. Nous, on sera là, devant la scène à nouveau, c’est clair !
Photos : Eric Debarnot & Robert Gil
Texte : Eric Debarnot
DeuxLuxes – Lighter Fluid : un second album plein d’énergie rock’n’roll