Alerte Rouge, le dernier Pixar, confirme la capacité du meilleur studio d’animation depuis des décennies à maintenir son avance sur la concurrence, en intégrant de manière intelligente les questions contemporaines : film féminin plutôt que féministe, il offre une lecture psychanalytique forte de la transmission culturelle et maternelle.
Le nouveau Pixar, Turning Red (Alerte Rouge en français, pourquoi pas ?…) est encore une fois sorti directement sur la plateforme Disney+, ce qui est une petite souffrance vue la beauté de son animation, qui aurait mérité la salle de cinéma. Il faut avouer pourtant que, a priori, il ne nous faisait pas autant envie que d’habitude : cette histoire d’une fille de 13 ans, dont la famille immigrée d’origine chinoise s’est installée à Toronto, qui découvre un jour avec horreur qu’elle se transforme en panda roux géant lorsqu’elle perd son calme, que pouvait-on bien en faire ?
Eh bien, on peut d’abord considérer que Pixar, loin de se plier aux règles de sa maison-mère dont on connaît la capacité à transformer le moindre projet artistique en machine à produire des dollars, a identifié depuis Luca une nouvelle manière de faire du cinéma « auteuriste » au sein de l’économie coûteuse du cinéma d’animation : après l’Italien Enrico Casarosa qui revenait sur ses origines dans le golfe de Gênes, voici donc aux commandes d’Alerte Rouge la réalisatrice d’origine chinoise Domee Shi, qui avait déjà réalisé avec son court-métrage Bao un conte symbolique sur l’amour maternel dévorant, dans le milieu chinois de Toronto. Turning Red travaille de manière – un peu – moins conceptuelle le sujet, dont on imagine qu’il lui est très personnel, de l’indépendance vis-à-vis de ses parents, mais aussi de ses racines culturelles. Et creuse encore plus l’aspect psychanalytique de la relation de la fille à sa mère, et de manière dont le lien maternel participe à la construction de la féminité : en décrivant la répétition à travers les âges d’un rituel quasi-religieux, ou tout au moins ancestral, de soumission des filles à leur mère – se débarrassant du panda roux en elles -, et en mettant en scène la possibilité d’une rébellion – d’ailleurs largement apportée par la confrontation de la culture chinoise traditionnelle à la modernité occidentale (symbolisée de manière assez ironique par la musique d’un « Boys Band » pour le moins ridicule), Alerte Rouge nous montre que la toxicité de l’amour maternel est une malédiction qui peut être levée.
Bien entendu, on est habitués désormais aux récits de libération que distille le cinéma de la maison Pixar depuis ses origines, mais, grâce au contexte de la culture chinoise, et au fait que le film soit quasiment centré sur les rapports, souvent violents, entre les femmes (les hommes jouant ici exclusivement, et c’est très doux, le rôle d’objets de désir ou, pour le père, de garant d’une stabilité rassurante), Alerte Rouge gagne une originalité, une fraîcheur inédite.
Très drôle dans sa description de la préadolescence, très pop dans son usage immodéré mais finalement séduisant de couleurs pastel, Alerte Rouge traduit aussi la nostalgie souriante de sa réalisatrice par rapport aux objets et aux codes de sa jeunesse : au-delà des « Boys Band » infamants, Alerte Rouge, dont l’action se déroule en 2002, nous rappelle les Tamagotchi, les téléphones à clapet, et de tant de choses dont nous avions oublié l’existence.
Et quand, à la fin, les larmes coulent, comme à chaque nouveau film de la maison Pixar, on se dit qu’il y a encore du Cinéma qui, année après année, ne nous déçoit pas. Et nous aide à comprendre qui nous sommes, d’où nous venons, ce que nous devenons, et donc à rester humains.
Eric Debarnot