L’énigme de ce début d’année du côté du petit écran : comment le pitch de départ le moins intéressant du monde (retour sur l’affaire de la sextape de Pamela Anderson et son mari Tommy Lee) devient une des meilleures séries de ces dernières années, radioscopie au scalpel mais brillante sur l’ascension sulfureuse et la descente tout aussi rapide d’un couple médiatique.
Il y a tellement de choses, de sujets et de thématiques proposées par ces huit épisodes que les déflorer reviendrait à abîmer le plaisir du téléspectateur – si, comme moi, il se foutait complètement, à l’époque, de la première affaire « à buzz » que fut la sextape de la comédienne Pamela Anderson avec son partenaire Tommy Lee. La cassette Hi8 capturant les ébats des jeunes mariés fut volée par un artisan mécontent d’avoir été licencié par le batteur de Motley Crüe : après l’avoir découverte par hasard dans un coffre qu’il a dérobé, il l’exploitera à coups de copies illégales, avant qu’elle soit mise à disposition du public via des pages web payantes, à l’époque des balbutiements de l’e-commerce et du porno en ligne. Et c’est précisément toute cette logistique numérique, qui semble préhistorique désormais, qui est pourtant vraiment réussie dès les premiers épisodes, montés comme un film de Scorsese qui multiplierait les points de vue des protagonistes avec des zooms caméra hyper rapides, dans une mise en scène dynamique et rythmée.
L’artisanat patient qui émane de cette exploitation illégale de vidéo chaude façon revenge porn 90’s s’oppose de façon radicale – et extrêmement réussie aussi – à l’ambiance bling-bling dans laquelle baignait ce fameux couple, elle démarrant sa carrière dans Alerte à Malibu comme sex-symbol affolant tous les compteurs d’audience TV, lui continuant une carrière rock’n’roll de batteur provoquant. Un couple hors-normes, fans de caméras et de liberté sexuelle, mais surtout profondément amoureux l’un de l’autre. D’éternels ados, bientôt en proie aux tourments médiatiques, et qui tenteront tant bien que mal de gérer ces affres qui minent un couple… même si, comme chacun sait, cela ne suffira pas pour éviter le lent déclin de carrière pour les deux. Malgré tout, ce qui demeurera, c’est l’amour absolu, qu’illustrera de manière parfaite un dernier épisode aussi sobre qu’émouvant, resserré autour de stars qui ne le sont plus du jour au lendemain.
La virtuosité de la mise en scène, constamment en mouvement, épousant diverses narrations et oscillant entre facéties surprenantes (scène d’anthologie entre Tommy qui parle avec son pénis en animatronix !!) et séquences intimes de couple en désarroi total, est due au talent de Craig Gillepsie, qui avait déjà brillamment mis en exergue la destinée de Tony Harding (Moi, Tonya) ou passionné autour d’une méchante de chez Disney (Cruella). Une nouvelle réussite de sa part, donc, à entrer en profondeur dans des personnages de pop culture américaine et en faire des personnages entiers, pétris de désirs de célébrités tout en étant souvent bien fragiles. A ce titre, la composition de Lily James, bimbo totale et poupée fragile, objet de convoitise sexuel mais aussi femme déterminée face au sexisme prégnant, est géniale. Elle arrive à nous émouvoir réellement, même cachée sous le silicone et le gloss. Et son mari, campé par l’incroyable Sebastian Stan, qu’on voit d’habitude plutôt chez les Marvel, lui rend la pareille en abruti total et sulfureux, mais attachant lover transi pour sa belle.
Honnêtement, on a pas vu depuis un moment une série qui décortique une vie de couple (pas ordinaire) de manière aussi intense, intelligente et inspirée. Et jamais je n’aurais cru attendre fébrilement les épisodes chaque semaine, comme un fan de base d’une affaire de cul de people qui m’avait laissé indifférent dans les années 90. Laissez-vous entraîner dans ce passionnant retour en arrière, bien avant les buzz d’aujourd’hui dont la durée d’emballement médiatique dépasse rarement les trois jours. Gros coup de coeur de ce début 2022 !
Jean-françois Lahorgue