Que se passe-t-il lorsque les héros testostéronés à la Sylvester Stallone traversent le petit écran pour débarquer dans votre quotidien banal ? Le début de la gloire ou la descente aux enfers ? Seuls les fans comme Francis pourront le savoir…
Francis est un grand fan de la série télévisée L’Américain. L’Américain, héros musclé et invincible, impitoyable envers les méchants, c’est son modèle absolu. Il ne jure que par lui, et débriefe chaque épisode à l’attention de ses potes avec enthousiasme, sans guère de considération pour sa petite amie Claire dont la patience menace de s’effriter… Puis un beau jour, comme par magie, l’Américain sort de l’écran de télévision pour lui confier une sacoche contenant un mystérieux document…
Difficile de définir cet objet singulier, louvoyant entre parodie des films de baston US et drame de la vie conjugale. D’ailleurs, on n’est pas trop sûr de ce que l’auteur a voulu nous dire, avec ce personnage de jeune Français moyen dont la vie semble tourner exclusivement autour de ce héros à gros biscottos, condensé improbable de Sylvester Stallone, Chuck Norris, Schwarzy et Bruce Willis, seulement connu sous le surnom générique de « l’Américain ». Francis, écrivain raté et procrastinateur patenté, vit dans un monde imaginaire alimenté par cette série qui déclenche chez lui des envolées lyriques dès lors que ses potes de bar cherchent à remettre en question sa passion inconditionnelle… Pendant ce temps, sa girlfriend Claire s’efforce de faire vivre le couple avec son boulot peu gratifiant de soignante dans un service de gériatrie…
Le récit est structuré par deux trames narratives parallèles, l’une en couleur où l’on voit notre héros évoluer à travers un déluge de bagarres et d’explosions, l’autre en noir et blanc pour représenter le quotidien un peu terne de Francis et de Claire. Le trait de Loïc Guyon reste assez sommaire dans sa mise en page très libre, ce qui convient plutôt bien au rythme passablement échevelé de la narration.
Jouant sur ce contraste entre les clichés hollywoodiens et la réalité ordinaire d’un jeune couple provincial, les deux trames vont se rejoindre de façon inattendue, ne faisant que renforcer la folie obsessionnelle de Francis, car en plus il en est sûr, on s’arrachera bientôt son talent d’écrivain ! Son héros absolu, qui a pour mission d’escorter une mystérieuse sacoche que la Terre entière (bandits mexicains, communistes, nazis, terroristes et j’en passe….) semble vouloir s’approprier, finira par confier l’objet convoité à son fan number one ! On ne sait pas vraiment lequel des deux, du héros ou du fan, est passé de l’autre côté du miroir, ou plus exactement de la lucarne télévisuelle, mais c’est à partir de là que la vie du jeune homme va basculer dans une spirale morbide de paranoïa aigüe… avec une conclusion au récit en forme de mise en abyme. Et là, on ne pourra s’empêcher d’y voir une part autobiographique où l’auteur épingle de façon très sarcastique le statut d’auteur et les logiques éditoriales.
On ne saura reprocher à son auteur cette structure scénaristique pour le moins originale, mais on pourra regretter les quelques longueurs et digressions inutiles que les séquences les plus rythmées ne suffisent pas à alléger. L’Américain, au-delà du pastiche, c’est un peu l’histoire d’un petit garçon qui n’a pas su grandir, ou plutôt qui s’est accroché à un mythe de son enfance, celui, illusoire, d’une Amérique des grands espaces et des héros libres où seul « le ciel est la limite ». Mais quand la réalité rappelle à l’ordre, plus dur est l’atterrissage, surtout quand le rêve américain vous a boudé… Sans être l’album de l’année, cet OVNI un brin alternatif reste digne d’intérêt par son audace. C’est sans doute pour cette raison qu’il est en sélection officielle pour le Festival d’Angoulême.
Laurent Proudhon