Le dramaturge, comédien et chroniqueur Thierry Rocher nous propose un roman émouvant, parfois bouleversant dans lequel un humoriste doit faire face à la mort de sa femme et sa fille unique, tuées dans un attentat.
Fidèle téléspectateur de La Revue de presse sur Paris première et admirateur inconditionnel de Thierry Rocher, j’avais hâte de découvrir ce roman, je l’ai lu avec beaucoup de plaisir. C’est l’horrible histoire d’un comique, tout comme l’auteur, dont l’épouse et la fille unique ont été les victimes d’une tuerie sauvage comme celle du Bataclan. Après une courte période de deuil bien sombre, Pierre Chalet, le comique en question, décide de remonter sur la scène. La vie continue et il faut bien occuper le temps qu’elle nous concède encore. Il lui faut aussi rompre le cercle de la solitude qui l’enserre, il n’a plus de famille dans la capitale, ses parents et ceux de son épouse habitent la province. Seule la sœur de sa femme, Sophie, réside à Paris, elle le soutient de toute son affection en espérant se rapprocher de lui afin d’unir leur solitude respective.
Comme le clown triste, Pierre Chalet ravit ses admirateurs quand il monte sur les planches mais broie beaucoup de noir quand il se retrouve seul chez lui ou dans les rues et restaurants qu’il fréquente. Il n’arrive pas à accomplir son deuils et sa souffrance ne fait que croître de jour en jour, pour essayer de la calmer, il collectionne les articles de presse relatant ou commentant l’assassinat de ces deux êtres les plus chers et ceux des islamistes radicalisés cités comme comparses possibles au cours de cette tuerie.
Un soir, il donne une représentation en compagnie d’une jeune humoriste très prometteuse qu’il rencontre à l’occasion des réglages du spectacle. Elle l’admire, il est ébloui, mais il ne peut pas l’aimer, elle l’a compris, elle appartient à la communauté de ceux qui ont détruit les siens. Il sait qu’il est injuste, il sait qu’un jour il l’aimera, ils se rencontrent le plus souvent possible, ils sont fusionnels. Mais les assassinats de jeunes radicalisés se multiplient comme si un règlement de compte généralisé était en cours. Elle craint la montée en puissance des violences raciales.
Entre amour et vengeance, l’humoriste se maintient en équilibre entre résilience et pardon d’une part et rage et violence vengeresse de l’autre. Il incarne ce dilemme en invoquant sur scène l’apaisement et le pardon et en cultivant, en privé, la douleur qui le ronge et le pousse à souhaiter la punition de tous ceux qui seraient impliqués dans l’horrible massacre. Mais, peut-être que l’amour lui indiquera un autre chemin vers une autre passion…
Cette histoire, c’est l’éternel débat entre le bien et le mal, la réflexion cérébrale et les pulsions reptiliennes, arbitré par les raisons, pas toujours raisonnables, du cœur sur fond de description de la carrière d’un saltimbanque adulé qui se lasse des attentions et de la compassion de ses admirateurs jusqu’à ce qu’une artiste plus jeune que lui vienne réveiller ses hormones en berne. J’ai aimé ce texte émouvant, parfois bouleversant, plein d’empathie, j’ai une vraie admiration pour le chansonnier atypique qui se cache derrière l’auteur. On ne peut pas ne pas apprécier un homme qui aime la bonne chair, le Saint Véran, les vins de Loire… et qui fréquente avec plaisir cette brasserie de la rue du Commerce à Paris qui a conservé le charme des belles brasseries parisiennes hélas en voie de disparition, que je fréquente, moi aussi, avec gourmandise quand je passe par la capitale.
Et pour terminer sur un clin d’œil, notez bien les maximes qui concluent chaque chapitre, elles sont dignes des pensées du célèbre philosophe chinois, Qi Shi Tsu, inventé par Thierry Rocher pour illuminer ses chroniques télévisuelles.
Denis Billamboz