Hier soir, à Petit Bain, les fans transis ont célébré le retour sur scène de l’un des groupes d’indie rock les plus cultes en France, The Apartments. Pour les autres, le verdict est moins tranché.
The Apartments est ce qu’on ne peut qu’appeler un groupe culte, un vrai. Pas l’une de ces inventions de la presse désireuse d’écrire un article aguichant, ou de promoteurs cherchant un positionnement pour leurs poulains, mais un vrai groupe culte, dont le public, réduit mais passionné et parfois à la limite du fanatisme (bienveillant et généreux, hein, le fanatisme, soyons clairs !), collectionne avidement tous les singles, EP et albums depuis les origines, remplit systématiquement les salles lors de leur passage en ville, et va se délecter de chaque note jouée sur scène. Ce qui place le reste du public, moins passionné, plus objectif sans doute, devant un vrai défi lorsqu’il s’agit de relever d’éventuels frustrations lors d’un concert… The Apartments, depuis l’engouement critique qu’avait suscité en 1985, et particulièrement en France, la parution de leur premier disque studio, The Evening Visits… and Stays for Years, avec ses 6 albums en près de quarante ans de carrière, c’est ce genre de « problème ». Et sans doute insoluble vu le panel de réactions à la sortie de Petit Bain le lundi 14 mars…
20h30 : C’est Raoul Vignal qui ouvre la soirée, alors que la chaleureuse salle de Petit Bain se remplit : Raoul vient de Lyon, et il a une excellente réputation dans le genre « musique intimiste » : on lit çà et là des références louangeuses à des génies comme Elliott Smith ou Nick Drake. Au milieu de son set, à un spectateur qui l’apostrophe par un « Mais pourquoi tout en Anglais ? », il rétorque avec humour « La vraie question, c’est plutôt pourquoi que des balades ? ». Raoul nous explique que ses albums sont plus orchestrés, mais que sur scène c’est comme ça, c’est lui tout seul avec sa guitare acoustique, et il s’en excuserait presque : il n’y a pas de raison, parce que ce qu’il fait, il le fait très bien, Raoul. Le public est d’ailleurs très recueilli et très « supporter », même quand Raoul fait une fausse note (« Pour la première fois de ma vie ! », nous jure-t-il, et on le croit), ou quand il oublie les paroles de la chanson qu’il vient d’entamer. Ce n’est pas une bonne soirée pour Raoul, aujourd’hui, avec sa coupe de cheveux ratée (« Je voulais une coupe à la Pacino, la coiffeuse m’a dit qu’elle m’avait fait ressembler à Tarantino ! »). Il est drôle, Raoul, il chante bien, et joue encore mieux de la guitare. Mais on n’évite pas une impression de répétition au bout d’une demi-heure (et le set durera 45 bonnes minutes !), la musique se concentrant de manière uniforme sur la création d’une belle atmosphère, mais sans effort mélodique particulier. Ce qui s’avère quand même un peu austère, à la longue…
21h30 : Peter Milton Walsh, le petit homme en noir qui est en fait The Apartments à lui seul, est accompagné ce soir sur scène par un quatuor sympathique, parfois bringuebalant (commentaire un peu dur, mais pertinent d’un de nos amis : « la musique, ce soir, ça ressemblait à celle d’un groupe de patronage, avec fausses notes et tout… ») visiblement totalement à la botte du maître, veillant aussi sur lui comme sur du lait sur le feu : il faut dire d’ailleurs que, ayant oublié à trois reprises de brancher sa guitare, Peter a visiblement besoin d’un peu de soutien…
The Apartments sont venus d’Australie – ce dont on les remercie, il y a peu de groupes des Antipodes qui tournent en ce moment en Europe – pour promouvoir leur dernier album, In And Out Of The Light, paru au début de la pandémie ; ils n’en jouerons finalement que 4 titres, dont, heureusement, la très belle balade Butterfly Kiss (« We’re all fucked Up, please don’t judge me now, we’ll have time for that »). La setlist est quand même largement consacrée aux deux premiers albums du groupe, The Evening Visits… et Drift, et personne ne s’en plaindra, bien entendu !
Walsch, frêle (il en plaisante lui-même : « je ne suis pas vraiment un mec qui en impose… ») et grisonnant, reste après toutes ces années d’obscurité et de lumière mêlées un personnage à la fois fascinant et attachant. Il a plutôt tendance à manier l’ironie dans sa communication avec le public : « C’est le premier jour sans masques en France, non ? Je me souviens, quand on a fait la même chose en Australie, une semaine plus tard, on était en confinement complet ! » (en fait, c’est sans doute de la lucidité). Quand il remercie Raoul Vignal pour sa première partie, c’est avec un petit commentaire ambigu : « Bon, j’espère que ça ne vous dérange pas, après ça, si je joue sur une guitare électrique ? ». Et les vannes – gentilles – envers son fidèle guitariste, Antoine Chaperon, fusent, que ça soit lorsqu’il le laisse accorder sa guitare acoustique, ou quand, pour l’interprétation de Over, il nous explique : « Si ça fonctionne, ce sera grâce à moi, sinon, c’est de sa faute… ».
Quand The Apartments jouent sur le registre de l’émotion, comme sur le parfait No Song, No Spell, No Madrigal, indiscutable sommet de la soirée, et que Walsch chante de tout son cœur, après avoir posé sa guitare, on comprend l’engouement que le groupe a généré. Quand par contre, ils alignent les titres « rock », ça grince un peu : avec un batteur qui frappe trop fort, des vocalises féminines envahissantes, un esprit un peu ras-la-moquette, et surtout un petit côté « plan-plan » dans ce Rock peu inspiré, il faut se pincer pour se souvenir que ce sont les Apartments qu’on est en train d’écouter.
Bref, au sortir de 1h35 en forme de montagnes russes (des sommets très élevés, des redescentes surprenantes, des remontées poussives), les fans sont encore plus fans, mais les autres – dont nous sommes – restent sceptiques.
Photos : Robert Gil
Texte : Eric Debarnot
The Apartments – In And Out Of The Light : Un disque aussi grandiose que fragile