Teresa Radice et Stefano Turconi nous invitent à fuir, avec trois soldats perdus, les horreurs de la guerre, dans un récit récit aussi touchant que fascinant.
À la fin de la Seconde guerre mondiale, un Allemand et un Italien s’échappent, au cœur de l’hiver, d’un camp de prisonnier russe situé au cœur des îles Solovki, au nord de Moscou. Fusch, l’Allemand, est froid comme l’acier et aspire à reprendre le combat. Attilio, l’Italien, est un contrebandier montagnard épris de liberté. Ils ne se sont pas choisis. Le second parvient à sauver la vie de Vanta, une sentinelle russe, forcée de les suivre.
Teresa Radice et Stefano Turconi travaillent et vivent ensemble depuis des années. Elle écrit et il dessine. Introduisant chaque chapitre, des citations de Mario Rigoni Stern et de Léon Tolstoï expriment le désarroi du Lombard perdu dans l’immensité de la steppe face à l’étrangéité de l’âme russe. On pourrait aussi évoquer des réminiscences d’Eugenio Corti, de Slavomir Rawicz ou de Guy Sajer.
Formidablement écrit, le récit est raconté par Attilio. Teresa Radice fait le pari de conserver la langue de chacun des fugitifs, seul l’italien est traduit en français. Le narrateur saisit quelques mots, essentiellement des phrases courtes. En s’appuyant sur les expressions des visages, il tente de deviner les autres. Contraints de s’entraider pour survivre, ils vont, petit à petit, se découvrir et, semble-t-il, s’apprécier. Au détour d’une phrase, d’une photographie ou d’une rencontre furtive, nous découvrons leurs blessures passées et apprécions leurs évolutions, souvent surprenantes. Tout au plus, peut-on être surpris par le lyrisme libertaire et panthéiste d’Attilio, plus proche de la prose d’un Jean Giono que de celle d’un pauvre et taciturne contrebandier. Ma réserve est légère, car Attilio pense bien. « Ça ne m’a jamais intéressé d’essayer de convaincre les autres de penser comme moi… mais si je le pouvais j’aimerais beaucoup alléger sa peine, lui dire que le salut, à mon humble avis, n’est pas d’être fidèle à ses certitudes, mais d’apprendre à s’en libérer. »
D’un semi-réalisme parfaitement maîtrisé, les dessins de Stefano Turconi alternent les huis clos dans les abris et l’épuisante marche dans l’infini glacé. Des scènes cruelles de guerre, dénuées de toute forme d’héroïsme, succèdent à des séquences de contemplation de la nature hivernale russe ou, tirée des souvenirs d’Attilio, estivale italienne. Les aquarelles en couleurs directes sont d’une rare beauté. Certaines planches, sans dialogues, se découvrent lentement, à l’issue d’un long temps de silence. Une voute étoilée, les prémices d’un lever de soleil ou le vol gracieux d’un rapace…
Stéphane de Boysson