Comment être délicieusement rétro et furieusement contemporain à la fois ? Le premier recueil de la nouvelle série Slowreader dirigée par Run relève ce défi avec panache, et vient habilement s’inscrire dans la digne tradition des EC Comics.
On pense ce que l’on veut de la nostalgie vis-à-vis de genres ou de formats artistiques passés, cultes ou pas, mais quand la nostalgie pousse une maison d’édition et des artistes à se lancer dans une aventure comme celle de Lowreader, on ne peut guère que s’incliner et se réjouir. La grande idée de Run (Guillaume Renard), graphiste et illustrateur, créateur du projet artistique collectif Label 619 – publié par Rue de Sèvres -, est de célébrer, mais surtout de reprendre la tradition des séries graphiques de l’âge d’or de la SF et de l’horreur. Donc de suivre les codes de ce qu’on appelle de manière inutilement méprisante la « série Z » de la BD pour en extraire des effets qui la transcendent, et qui fassent écho à nos préoccupations actuelles.
Le premier numéro de la série Lowreader utilise l’image du corbeau comme fil conducteur – mais pas dans les 3 récits complets qui composent le volume ! – et nous propose un assemblage créatif de courrier des lecteurs, publicités, articles de réflexion… complété d’un poster ! Le tout présenté et packagé de manière délicieusement rétro, pour donner au lecteur l’impression qu’il a entre les mains un vieil ouvrage des années 40, retrouvé par hasard dans la poussière de l’arrière-boutique d’un bouquiniste récemment décédé… Un pur plaisir d’esthète, quoi !
Mais tout cela sera bien joli, mais un peu vain, sans un contenu BD qui tienne la route : nous avons donc ici trois histoires complètes qui ne jouent pas, elles, la carte « rétro », mais sont parfaitement contemporaines. D’abord, la plus réjouissante, reprenant qui plus est le principe des « histoires à morale » qui firent le triomphe artistique des meilleurs EC Comics : Devil’s Key (de Mud au scénario et Nicolas Ghisalberti au dessin) raconte de manière ultra-violente mais très drôle ce qui arrive à un groupe de heavy metal ayant fait le pari de faire de la publicité (pour un restaurant de burgers !) pour se faire connaître. C’est outrageusement graphique et coloré, c’est grotesque, c’est délirant, et profondément réjouissant avec une jolie conclusion.
Ensuite, le récit le plus audacieux, s’appuyant sur un graphisme moins « daté », Mr. Sato, de Run au scénario et Guillaume Singelin au dessin : comment un homme ordinaire, littéralement « transparent », devient un drôle de vigilante en utilisant la technologie moderne, et comment il sera puni (morale et ironie, avec une bonne louche de désespoir noir)… soit sans doute la meilleure des trois histoires.
Retour enfin dans un registre plus convenu, avec She-Wolf & Cub de Florent Maudoux : très beau, très impressionnant de maîtrise graphique, voilà un récit qui ne sort malheureusement guère des stéréotypes du genre, avec ses Hell’s Angels loups-garous, son bébé mutant, et sa violence graphique. On appréciera toutefois grandement le fait que les codes de « l’exploitation » (héroïne sexy à la belle poitrine finalement dénudée) sont retournés pour une conclusion féministe.
Globalement, ce premier numéro de Lowreader est une belle réussite, un bel objet rétro avec de la bonne BD solide… Une nouvelle « collection » à laquelle on souhaite une longue, longue existence.
Eric Debarnot