23 chansons pop parfaites, interprétées avec humilité et avec humour, pendant 2 heures qui se seront avérées les plus délicieuses passées devant une scène en 2022 : Gruff Rhys, le « génie » gallois, était au Hasard Ludique, et vous auriez dû y être avec nous…
Hier soir, à Paris, il y avait le retour de Placebo en « concert privé » dans une salle à taille humaine, le Trianon, et même si Placebo ne nous décevait pas autant depuis des années, nous n’aurions pas hésité une seconde quant à l’endroit où nous irions passer cette soirée du mercredi 23 mars : cela ne pouvait être que dans la délicieuse salle de concert du Hasard Ludique – ce bel endroit pas assez connu près de la Porte de St Ouen – puisque c’est Gruff Rhys qui y jouait. Soit un Gallois (ex-Super Furry Animals, pour préciser un peu les choses) que nous sommes nombreux (mais pas encore assez) à considérer comme l’un des vrais et rares génies musicaux en activité. Soyons intransigeants, pour une fois : qui prétend aimer la pop music, la vraie, ne pouvait pas manquer un passage de Gruff Rhys à Paris.
20h30 : alors que la salle n’est pas encore bien remplie, les lumières s’éteignent mais il n’y a personne sur scène. Dans la salle obscure, deux voix féminines s’élèvent : « la la la ». Deux jeunes femmes vêtues de noir traversent le public et montent sur scène, elles se présentent : elles sont l’Argousier, et elles viennent de Lille. Ce sont Sophie et Lulu, à la guitare et à la basse. Et au chant. Ce qui suit sera souvent tout aussi étonnant, en particulier les morceaux dépouillés et à l’énergie comme mécanique, avec de jolies dissonances, un peu à la Young Marble Giants, ou encore une poussée rock’n’roll noise du plus bel effet. On aime moins certains passages plus rêveurs, plus atmosphériques (comme le Long du Rivage), mais c’est seulement une question de goût personnel. La dernière chanson, Pas si compliqué, est totalement convaincante. 30 minutes originales, voire par moment envoûtantes.
21h15 : Gruff Rhys est accompagné ce soir de trois musiciens, un claviériste discret, un bassiste / contrebassiste essentiel et un batteur assez dément, tant par sa technique et son énergie derrière ses fûts, que par sa capacité à entraîner le public dans des plaisanteries absurdes, comme de faire « Pang » sur la chanson du même nom, ou encore de huer Rhys sur (la fantastique) Negative Vibes. L’honnêteté nous oblige à ajouter que Gruff et son batteur portent tous deux des t-shirts blancs avec des photos de chatons mignons…
Gruff nous a annoncé, pancarte à la main – car il a l’habitude de communiquer avec des pancartes (écrites en anglais ou en français…), comme si on était dans une manif, ce cher Gruff -, « 120 minutes qui changeront notre vie ». « Ou pas ». Il jouera 115 minutes et chacune ou presque sera précieuse. Peut-être pas un concert qui vous change à tout jamais, mais sans nul doute l’un des plus pleinement satisfaisants depuis le début de l’année.
Au centre de la set list, il y a – et Gruff s’en excuse en disant que c’est contractuel et qu’il ne peut l’éviter- l’intégralité de Seeking New Gods, le dernier album, qui sera joué dans l’ordre (on apprendra pour l’occasion à Gruff à dire « face A » et « face B »). Cela aurait pu suffire à notre bonheur, vu les merveilles que sont Can’t Carry On, Loan Your Loneliness ou encore Distant Snowy Peak. Mais nous avons droit en plus à une longue préface (5 chansons) et une encore plus longue postface (9 chansons) qui visitent les albums solos précédents. Avec en bonus un tout nouveau morceau encore sans titre, pas totalement terminé, nous dit Gruff, qui se révèle prometteur.
Pour nous, et quelques autres amis qui chantaient et dansaient avec le même enthousiasme que nous, les sommets du set auront été Take That Call, American Interior, et Sensations In the Dark, mais là encore, c’est totalement relatif et chacun aura pu choisir ses favorites dans une succession ininterrompue de chansons tout simplement brillantes.
On notera que, pour le rappel (sans sortir de scène, puisque Gruff milite, pancarte à la main, pour la « résistance contre les faux rappels »), le groupe s’est bien lâché sur un Bae Bae Bae tropical et Gyrru Gyrru Gyrru surréaliste, avant la belle conclusion dépouillée de If We Were Words (We Would Rhyme).
Il ne nous restait plus qu’à nous auto-congratuler d’avoir été là ce soir, pour cette soirée enchanteresse, et de laisser les derniers mots à Olivier Rocabois qui était évidemment dans la salle : « Une leçon de pop music ».
Photos : Robert Gil
Texte : Eric Debarnot