Les soirées Gonzaï à la Maroquinerie, c’est devenu une excellente habitude pour qui s’intéresse à toutes les tendances, et aussi les déviances du Rock dans les années 2020. On avait été attristé en janvier quand, pandémie oblige, le concert de la Jungle avait été reporté, mais c’était reculer pour encore mieux sauter (de joie)… et nous y voilà enfin, ce soir.
20h05 : Heimat est duo formé par Olivier Demeaux, surtout connu comme le claviériste de Cheveu, aux machines, et par Armelle O. au chant. Ils sont visiblement très populaires – au moins pour une partie du public de ce soir – puisqu’au bout de 40 minutes de set, nous serions gratifiés, fait très rare pour une première partie, d’un rappel.
La musique est sombre, sinistre même, grondement de machines animé de beats qui provoquent plus des tressautements dans le corps des spectateurs que de la danse : en mélangeant le concept désormais habituel des drones avec des sonorités presque exotiques, Heimat se détache clairement de la masse de l’électro. Là-dessus, Armelle clame des sortes d’incantations en allemand ou en italien (du moins il nous a semblé entendre de l’italien…), qui peuvent impressionner mais également lasser. La démarche est très intéressante, le résultat pas toujours convaincant. Mais le lien fort entre les deux musiciens, très visible sur la scène, et surtout l’enthousiasme de nombre de spectateurs tirent indiscutablement le set vers le haut. Peut-être un grower, à voir…
21h10 : Sur leur site internet, le duo de Mons se qualifie de Techno / Kraut / Transe / Noise Duo, et nous n’oserions pas les contredire. Juste expliquer que, à notre humble avis, le concept de la Jungle, c’est à la fois formidablement simple et incroyablement ambitieux : faire de la techno et de la dance music avec de vrais instruments (une vraie batterie, une vraie guitare, une vraie basse, en chantant vraiment) joués par de vrais musiciens. Bon, Mathieu (ou Jim de la Jungle ?), le géant blond au corps élastique et au visage qui l’est encore plus, utilise bien sûr des boucles qu’il empile méthodiquement pour arriver au maximum de richesse, d’amplitude ou de puissance, suivant le style musical. Car ce qui est formidable avec la Jungle, c’est que la méthode peut être appliquée avec succès – grâce à l’incroyable talent des deux musiciens – à une infinité de genres : punk rock et heavy metal bien sûr, mais aussi jazz, samba, pure dance music, etc… On ne s’ennuie jamais grâce à une formidable variété de sons, de rythmes. Et à de grandes variations d’intensité qui sont principalement apportées par la batterie démentielle de Rémy (ou Roxy ?). On se demande d’ailleurs comment il fait pour survivre à 1h10 d’une telle frénésie, et il y a eu au cours du set plusieurs longs moments où l’on aurait juré qu’il avait arrêté de respirer tout en frappant ses futs et ses cymbales comme un damné !
Avec une intro pour laquelle le qualificatif de percutant n’est pas, pour une fois, usurpé, tant on a eu l’impression d’avoir le cerveau attaqué au marteau piqueur, la Jungle nous entraîne dans un long et fort délire, qui voit le public se défaire de ses ultimes résistances et basculer peu à peu dans ces fameux moments de transe qui sont le but ultime de cette musique, qui alterne paroxysme de sauvagerie et longues plages hypnotiques. Le tout, il faut le souligner, tant on est à chaque fois bluffé par le bon esprit et la générosité de la culture belge (pardonnez-nous pour cette étiquette simplificatrice !), dans une bonne humeur, une joie permanente.
Au bout de presque une heure de ce traitement délicieux façon rouleau compresseur en folie, la Jungle met tous les curseurs dans le rouge avec un punk rocker jusqu’au-boutiste qui déclenche un magnifique pogo général dans la Maro. Mathieu invite alors les spectateurs qui le veulent à venir danser sur scène pour un final heavy metal bien primitif qui inviterait presque à l’orgie. Mathieu monte sur ses amplis, et prépare son envol, malheureusement limité par la taille de la scène, toujours envahie. Ça devrait s’arrêter là, mais le groupe nous offrira une petite prolongation dans le même registre tribal, avec en bonus un spectateur en slip qui vient faire le spectacle.
On se remercie tous mutuellement de cet immense moment de folie collective et de plaisir bienveillant : ça change du public alcoolisé, bagarreur et peu respectueux, que l’on rencontre régulièrement aux concerts Rock, ce qui est un joli paradoxe puisque la musique de la Jungle est infiniment plus violente, et capable de pousser facilement une salle tout entière à l’hystérie, que celle de la majorité des groupes de « Rock traditionnel ». Et en tous cas, derrière la folie de cette musique, on a aussi reconnu les contours clairs d’une évolution intelligente du Rock vers un ailleurs réellement excitant : un conseil, si la Jungle passe (pousse ?) près de chez vous, ne refusez pas à votre cerveau et à votre corps une telle extase !
Photos : Robert Gil
Texte : Eric Debarnot