Remake honorable de la Famille Bélier, CODA souffre des mêmes défauts mais a quelques qualités supplémentaires. De là à mériter l’Oscar du Meilleur Film…
Favori de dernière minute à la course aux oscars et finalement triomphateur devant le pourtant bien supérieur The Power of the Dog de Jane Campion, CODA a d’ores et déjà séduit les Etats-Unis par son aspect feelgood et consensuel, par son message d’espoir et de réconciliation, ici entre sourds-muets et gens « normaux », mais applicable à toutes les parties de la population. Il y a fort à parier qu’en France, on tordra le nez devant ce qu’on qualifiera de « lissage à l’américaine » habituel dans une opération de remake d’un film européen à succès : car CODA (c’est-à-dire Child of Deaf Adult – enfant d’un adulte sourd), c’est notre la Famille Bélier revu et corrigé – mais finalement très peu – pour être vendu aux USA. Et la Famille Bélier, qu’on l’ait aimé ou pas à sa sortie en 2014, c’était quand même déjà une avalanche de bons sentiments propres à faire grincer les dents de tous ceux qui sont allergiques au sucre à haute dose !
Rappelons à ceux qui ne l’auraient pas vu le sujet : la seule membre d’une famille de sourds-muets qui ne souffre pas de cette infirmité est essentielle au bon fonctionnement quotidien des affaires, et cette obligation, considérée comme allant de soi par les siens, va entrer en conflit avec les aspirations légitimes de l’adolescente, douée pour le chant, et qui se verrait bien en chanteuse professionnelle.
En traversant l’Atlantique, les agriculteurs producteurs de fromage bien de chez nous sont devenus des pêcheurs, peinant à survivre financièrement au sein du système US de vente aux enchères de leur pêche, qui met de plus en plus de pression sur les prix de vente alors qu’en même temps, l’administration augmente le niveau de contraintes, inabordables pour les petites structures. Même si l’on adore défendre le fromage français, on ne peut guère se plaindre que le contexte de CODA soit encore plus « politique » que dans son modèle français !
Par contre, le reste du scénario est à peu près inchangé : les embarras quotidiens dans la vie de l’adolescente avec des parents très libérés (des grosses blagues cochonnes à la louche), la difficulté pour les sourds-muets de s’intégrer dans la société qui les voit comme des handicapés à la limite du ridicule, la découverte du talent de l’héroïne par un professeur de chant, la première histoire d’amour… et la résolution de tous les problèmes grâce à la bonne volonté générale ! Hourrah !
https://youtu.be/CZl8zNU8NoM
S’il est facile – et injuste – de déplorer ce copié-collé, et surtout de regretter une conclusion en forme de happy end beaucoup plus forcé, moins explicable que dans l’original, il faut bien reconnaître que, pour une fois, le remake est supérieur à l’original. En faisant jouer les rôles des membres de la famille Rossi par des interprètes réellement handicapés, Sian Helder, plus connue pour comme scénariste de la série Orange Is the New Black, a vraiment conféré à son film une belle crédibilité, qui faisait clairement défaut à l’original : comme Marlee Matlin et Troy Kotsur sont en outre d’excellents acteurs, que l’on a tous deux déjà vus et appréciés dans de nombreux films, il faut bien admettre que CODA fonctionne bien mieux que la Famille Bélier. Ce casting de choc est complété par Eugenio Derbez, irrésistible en professeur de musique caractériel mais lumineux.
Ajoutons que le remplacement de la « musique » de l’épouvantable Michel Sardou par celle de la sublime Joni Mitchell est également un gros point positif de cette nouvelle version d’une histoire qui nous réconciliera au moins pendant 1h50 avec l’humanité.
Eric Debarnot