Jolie surprise que ce troisième album de Mattiel Brown et Jonah Swiley, qui ne se contente pas de capitaliser sur le succès des précédents, mais va brillamment explorer d’autres formes musicales…
Soyons honnêtes, lorsque l’on avait aimé Satis factory, le précédent album de Mattiel, groupe d’Atlanta (Géorgie), formé par Mattiel Brown (qui lui a donné son nom) et le multi-instrumentiste et producteur Jonah Swilley, on n’avait prévu du tout que ce blues rock mâtiné de country, bien troussé (bien produit ?), particulièrement bien chanté, illuminé de soul et traversé par divers courants du Rock, nous emmène un jour dans des territoires surprenants. Et la prestation irrégulière du groupe sur la scène de la Maroquinerie ne nous avait pas permis d’envisager un futur extraordinaire pour cette artiste, pourtant soutenue ni plus ni moins que par Jack White. Et nous voilà donc aujourd’hui interloqués devant la créativité et l’énergie dont fait preuve Georgia Gothic, leur nouvel album.
« He came and met me in the bathroom / A little like a younger Jeff Goldblum / About to take my heart and break it pretty soon / … / I didn’t take the time to listen to his name / So just for now, I’ll call him Ichabod Crane / My Sleepy Hollow baby standing in the rain » (Il est venu me retrouver aux toilettes / Un peu comme un Jeff Goldblum plus jeune / Sur le point de prendre mon cœur et de le briser très vite / … / Je n’ai pas pris le temps d’écouter son nom / Alors pour l’instant, je l’appellerai Ichabod Crane / Mon bébé Sleepy Hollow debout sous la pluie) – Jeff Goldblum
Bien sûr, nous connaissions déjà le single, très, très malin, Jeff Goldblum, avec ses hooks pop, son mélange incongru de noise velvetien (puisqu’on n’oubliera pas qu’en rappel à la Maroquinerie, Mattiel avaient joué White Light White Heat) et de synthé pop eighties. Mais sur les deux titres qui suivent sur l’album, les tonalités country de On the Run et l‘élan power pop de Lighthouse laissent présager un retour aux affaires… normales. Même si on avait repéré dans le précédent album un goût pour la variété de genres, pour le patchwork stylistique, on se laisse surprendre par la manière dont Georgia Gothic part ensuite en vrille, et déclenche en nous un enthousiasme de plus en plus grand : Wheels Fall Off est un étonnant blues rock, avec des vocaux hip hop réconciliant quelque part la logorrhée dylanienne avec un déhanchement de hanches indécent : c’est parfaitement irrésistible, et c’est à ce moment-là qu’on se dit : « on n’attendait pas ça de Mattiel ! ».
Et Subterranean Shut-In Blues poursuit dans un registre similaire, avec son blues rock sur synthés, pénétré et renouvelé par les codes soul, mais aussi par les grandes crises existentielles de notre époque : « Johnny’s in the basement / Mixing up the medicine / And I’m on the sidewalk / Thinking about how this bomb went off / A hundred-thousand men, a bad call / A whole lifetime supply of soap and water couldn’t wash this off » (Johnny est au sous-sol / En train de mélanger les médicaments / Et je suis sur le trottoir / En train de penser à comment cette bombe a explosé / Cent mille hommes, une mauvaise décision / Toute une vie de savon et d’eau ne pourrait pas laver ça ! »)
Alors oui, les grincheux diront que Mattiel sont des poseurs de bombe de pacotille, qu’ils ont vendu leur âme au Business, qu’ils n’ont pas su résister aux sirènes de la pop music synthétique et superficielle de notre époque : nous, nous entendons un disque pertinent, susceptible de parler aussi bien aux rockers grisonnants (une chanson « classique » comme le drôle et torturé Blood in the Yolk ne pourra que les convaincre) qu’aux ados biberonnés aux réseaux sociaux.
Et à la différence de la majorité des albums habituels, Georgia Gothic ne faiblit pas sa dernière ligne droite : Cultural Criminal est une chanson pop / soul très accrocheuse, You can Have Have It All et Other Plans (avec le discours – en français – d’Albert Camus en Suède lors de la réception de son Prix Nobel, en guise de pont !) nous rappellent que, même au sein d’une démarche aussi clairement exploratrice que celle de Brown et Swiley il reste de la place pour de bonnes vieilles rock songs à l’efficacité indiscutable. Mais le plus beau est sans aucun doute la conclusion du disque, les trois minutes de How It Ends, une étrange chanson sur la Mort, habillée d’une sensualité et d’une tension qui n’évoquent rien moins que The Kills…
… Et qui constituent une formidable promesse pour l’avenir.
Eric Debarnot