La tournée Charmed Life passait hier soir par le Grand Rex, et Neil Hannon nous a offert un abondant bouquet de 23 de ses chansons les plus connues, lors d’un concert plus irrégulier que de coutume.
Comme c’est le cas pour beaucoup d’artistes, la pandémie a stoppé net les projets de Neil Hannon et de sa Divine Comedy, et elle nous a privés d’un plaisir que nous attendions particulièrement, celui de le voir interpréter sur la scène de la Philharmonie, chaque soir, un album original de sa brillante discographie. Pour le moment, Neil n’est nous est revenu “que” avec un généreux best of sous le bras – heureusement assorti d’un joli album d’inédits –, soutenu par une tournée qui passe ce jour par le Grand Rex. Le Grand Rex, soit une relativement grande salle pour un artiste dont la cote auprès des amoureux de grande pop orchestrale britannique n’a pas encore été doublée d’un véritable succès populaire…
20h : c’est Blumi, c’est-à-dire Emma Broughton, une chanteuse franco-britannique déjà repérée pour sa collaboration avec Bon Iver, qui assure la première partie. Elle commence son set alors que la plupart des gens ne sont pas arrivés, ce qui est loin d’être idéal pour que sa musique crée l’impression voulue (même si elle se dit moins impressionnée parce que tout le monde n’est pas encore là dans cette grande salle !). Blumi chante et raconte des histoires sur un fond sonore bruissant de vie ou sur des sonorités électroniques tantôt liquides, tantôt aériennes. Sa voix, parfaitement posée, impressionne d’emblée par son pouvoir évocateur – on regrettera forcément qu’elle ne chante pas aussi quelques textes en français. A la guitare électrique grondante ou aux claviers, elle cherche, cherche, cherche à créer des sensations suspendues, dans une atmosphère parfois cinématographique. Sur un morceau (The Father ?), le romantisme assez classique de la chanson est déchiré par des bruits incongrus dans la bande son, et l’effet est étonnant. Elle conclut son set de 30 minutes par The Dream, une chanson qu’elle présente comme « de consolation écrite à partir d’événements très tristes ». Et on se dit alors que, oui, c’est bien ça qu’on entend, malgré le handicap de la salle trop grande et du public peu attentif, une musique qui fait du bien à l’âme.
21h00 : autant nous y résigner, même si cela ne nous plaît pas beaucoup, cette tournée Charmed Life a pour but de nous offrir les chansons les plus populaires, les plus efficaces de The Divine Comedy. Et cela dans un format plutôt rock : 5 musiciens sur scène, le trio de base guitare – basse – batterie, plus un pianiste et un claviériste-accordéoniste (l’accordéon, seule vraie touche de fantaisie interviendra souvent sur les chansons). L’interprétation, assez carrée, qui nous sera offerte, privera bien des morceaux soit de leur splendeur orchestrale un peu kitsch, soit au contraire de leur fragilité émotionnelle. Et comme le son au Grand Rex est loin d’être le meilleur de Paris, avec un léger effet de résonance, de creux… ça n’arrange rien ! Du coup le concert a du mal à démarrer, on a cette fois l’impression d’une musique presque calibrée (un comble pour Neil Hannon), où la finesse des sentiments se perd. C’est particulièrement visible sur un Everybody Knows (Except You) qui semble clouée au sol, dépourvue de cette magie qui en faisait une très grande chanson à sa parution en 1997.
Et puis, où est l’humour ce soir ? Neil nous épargne ce soir ses déblatérations habituelles, qui sont pourtant si drôles d’habitude. Pire, quand il intervient, il ne nous fait pas particulièrement rire : « 15% des spectateurs ne sont pas là, allez, prenez leurs sièges ! Fuck them ! », ou « Ne commencez pas à demander des chansons, ce soir, ça n’arrivera pas, on ne joue que des biggies ! » (il est vrai que la setlist varie très peu d’un soir à l’autre de la tournée…). Il faut atteindre le septième morceau de la set list, le pourtant peu réputé The certainty of chance, pour que quelque chose frémisse enfin sur ce premier vrai envol lyrique. La merveilleuse Your Daddy’s Car, seule rescapée de Liberation, ne nous enchante guère, en dépit des amusants maracas déguisées en bouquet de fleurs que brandit Neil. Il faut donc attendre To the Rescue, qui, à chaque concert de The Divine Comedy, consolide sa place parmi les meilleures chansons, pour que le public fasse enfin à Neil sa première ovation. « Oh, allez, vous pouvez vous lever ! » nous annonce Neil, sans doute lui aussi frustré par le manque de vie ce soir : debout, on est en effet bien plus a même d’apprécier une version rock de Generation Sex, puis une accélération du rythme avec Something for the Week-end : grosse ambiance !
Et puis… coitus interruptus ! « On se retrouve dans 20 minutes » ! Nooooon, juste quand le set trouvait son rythme, on nous impose un entracte, qui frôlera d’ailleurs la demi-heure… Il faut tout recommencer, et le très émouvant A Lady of a Certain Age marque le redémarrage d’une seconde partie qui va s’avérer meilleure : Neil se détend, commence à bavarder plus, à faire plus preuve de son humour habituel. Par contre, il se paume dans les paroles de Mother Dear, une chanson finalement peu jouée sur scène, mais très professionnel, il se rattrape aux branches avec élégance.
Norman and Norma est le premier vrai moment de fantaisie de la soirée : « That was great fun ! » jubile Neil, très british, le verre de gin tonic à la main. Avec contrebasse et banjo, Mutual Friend est l’opportunité d’une interprétation très théâtrale du texte, avec coma éthylique sur scène : oui, il se passe enfin des choses au cours de ce second acte ! « Enough of this seriousness, Rock’n’Roll ! » : Neil tombe la veste et se tape sur le ventre. C’est une version vintage, réjouissante de How can you leave me on my own?, puis le super crowd pleaser de National Express, avant un I like en format rock’n’roll. Bien !
C’est le rappel, de deux titres seulement : « It’s good to be an idiot ! », Neil est très décontracté désormais, et sur Perfect lovesong, on a droit à l’apparition impromptue d’un roadie déguisé en marin qui place un capo sur le manche de la guitare de Neil pendant qu’il joue : « Thank god it was not Will Smith ! », rigole Neil, dans sa première et unique vraie bonne blague de la soirée !
Et puis c’est, inévitablement, Tonight we fly, ce final sublime qui met les larmes aux yeux et qui semble toujours être bien trop court : « If heaven doesn’t exist / What will we have missed / This life is the best we’ve ever had » (Si le paradis n’existe pas / Qu’aurons-nous raté ? / Cette vie est la meilleure que nous ayons jamais eue).
Il est 23h10, et si ce concert est très loin d’être le meilleur que nous ayons vu de The Divine Comedy, il est impossible de prétendre que nous n’avons pas été HEUREUX, ce soir.
Texte et photos : Eric Debarnot