Sixième album de Konstantin Gropper et son Get Well Soon, AMEN est un disque de foi en l’avenir, un disque souvent radieux, qu’il sera facile d’aimer en dépit ou à cause de tendances à l’emphase et d’une impressionnante accumulation de considérations plus ou moins profondes sur la vie.
On a souvent considéré Get Well Soon comme un équivalent de The Divine Comedy outre-Rhin, ce qui n’est pas tout-à-fait vrai, mais ce qui permet au moins d’expliquer simplement de quoi il retourne : le projet d’un auteur-compositeur brillant – Konstantin Gropper – ayant choisi une forme d’emphase symphonique, louchant parfois sur le classicisme, pour véhiculer des chansons très personnelles. Avec ce genre d’obstination, en dépit des aléas d’un succès commercial qui se fait attendre, caractérisant les gens qui, en toute honnêteté, ne pourraient pas faire autre chose. Mais il y a aussi de grosses différences entre Konstantin et Neil Hannon : moins drôle et plus torturé, moins pop et plus rock, adepte de l’électronique, Gropper a réussi à constituer et conserver un véritable groupe autour de lui, ce qui change pas mal de choses. Entouré de sept musiciens qui utilisent des instruments comme l’accordéon, la trompette, le violon, Konstantin donne à sa musique une puissance et une emphase qui le rapproche finalement plus de l’Arcade Fire de la grande époque.
Le titre, peu amène, de AMEN, sixième album de Get Well Soon, et la pochette qui évoque au premier coup d’œil une pierre tombale (même si, ensuite, le doute est permis quant à ce qu’on voit réellement…) promettent un autre album morose, voire sinistre, à la manière du précédent opus (The Horror), et offrent un contrepoint passablement ironique au nom du groupe. Pourtant, et on le décèle dès le premier titre, A Song For Myself, voilà un disque foncièrement optimiste : « I think I read the wrong books all my life / The ones that make you reach for the Knife / … / Stop your Whining, You’re alright ! » (Je pense que j’ai lu les mauvais livres toute ma vie / Ceux qui te font te jeter sur le couteau / … / Arrête de pleurnicher, tout va bien !)
Et oui, Konstantin l’explique lui-même : alors que les titres, comme ceux de tant d’albums récents, ont été composés en période de confinement, le résultat de l’introspection forcée à laquelle il s’est livré a été une révélation étonnante : ce n’est pas que la vie soit belle, mais tout peut aller mieux ! On n’aurait pas attendu ça de notre artiste morose, et il ne faut pas espérer non plus ici un passage au reggaeton et à la célébration béate des plaisirs terrestres : c’est dans la réflexion philosophique et dans la prise en compte de ses propres limites que Konstantin s’est découvert une nouvelle foi en l’avenir, et en lui-même. Comme il le chante sur le bien nommé Mantra : « You are here / It is time / Then why don’t you? / Why? » (Tu es là / Il est temps / Alors pourquoi pas est-ce que tu ne le fais pas ? / Pourquoi ?). Bref, pour Konstantin, en ces temps de désespoir général, il est possible d’agir.
On a parfaitement le droit de trouver que la barque de AMEN, un album qui dure d’ailleurs quasiment une heure, est bien chargée. On peut frôler l’indigestion devant un gloubi-boulga de réflexions philosophiques et d’aphorismes qui semblent extraits de manuels de développement à l’américaine. Et ceux qui sont allergiques au romantisme envahissant (Golden Days qui peut facilement nous faire fondre) comme à l’emphase musicale (les puissants My Home Is My Heart et I Love Humans) feront bien de passer leur chemin : Konstantin pousse régulièrement ici tous les curseurs dans le rouge du lyrisme.
Pour les autres, qui se réjouiront d’un positivisme décalé par rapport à l’état d’esprit général, et qui sauront apprécier à sa juste valeur cette musique ambitieuse, assemblage de sons synthétiques, de vocaux superbes et d’instruments traditionnels, AMEN sera un véritable plaisir. Our Best Hope dégage un joli bucolisme, avec bruits de ruisseau qui coule ; One For Your Workout commente la difficulté que nous avons tous à nous conformer aux modèles auxquels on nous demande de ressembler, mais est surtout une belle chanson sur laquelle danser – ou courir sur un tapis ; Chant En Disenchant a de très beaux vocaux nostalgiques presque bowiens ; Richard, Jeff & Elon brocarde nos milliardaires escapistes, mais sonne comme un extrait de OK Computer, ce qui n’est pas si mal…
AMEN se clôt de manière convaincante sur un Accept Cookies où la leçon du coach Gropper (« Learn and learn to compromise / Love and value your friends / Your heart is always wise / You will win / Just Go, Begin », soit « Apprenez à faire des compromis / Aimez et appréciez vos amis / Votre cœur est toujours sage / Vous allez vaincre / Allez-y, lancez-vous ! », ce genre de choses) débouche sur un envol extatique du plus bel effet.
Allez, on répète avec Get Well Soon : la vie va être belle ! Goodbye… and good luck !
Eric Debarnot