Le duo lillois revient avec un troisième opus moins industriel, plus dansant, plus souple et moins grinçant que les précédents. Mais une musique toujours aussi exigeante et ambitieuse. Dear Deer se construit une belle identité musicale.
Avec Oh my… (2016), Dear Deer nous avait titillé les oreilles avant une musique brutale, grinçante, presque glaçante. Répétitive. Sombre. Industrielle. Un mur du son ne laissant guère de répit à auditeur. L’album était une épreuve dont on ne pouvait que sortir abasourdi. Mais, que les choses soient claires : pour éprouvante que l’écoute de Oh my… pouvait être, elle n’en n’était pas réjouissante. Deux ans plus tard, avec Chew-chew (2018), le son semble s’être un peu arrondi et la musique un peu moins abrasive avec des morceaux presque dépouillés (selon les standards du groupe, comme Stracila ou peut-être Disco-discord). Quoi qu’il en soit l’ensemble restait très fort. Un belle claque quand même ! Et revoilà Federico Iovino et Claudine “Sabatel” Sourdeval — les deux membres du duo — qui reviennent avec ce Collect and Reject, un album qui s’inscrit à la fois dans la lignée des précédents tout en continuant à se dépouiller, peut-être à abandonner leur côté systématiquement industriel, râpeux, grinçant, irritant. Et pour la première fois, il y a des titres en français !
Comme à leur habitude, les Dear Deer commencent leurs morceaux par des intros relativement soft, presque calmes — à l’exception quand même de Plateforme qui donne l’impression de rentrer dans une usine de laminage d’acier industriel. Et après ces quelques secondes déroutantes, comme pour laisser à l’auditeur le temps de se détendre, les morceaux s’emballent. Le rythme est syncopé, très syncopé qui est particulièrement donné par le chant de Sabatel ou les guitares peuvent être très eighties (un côté Devo qui se serait égaré au milieu d’un set de Treponem Pal). C’est le cas par exemple sur Invisible Designer.
D’autres morceaux sont quasi intégralement électro (JJR, Love like capitalists qui sonne comme un morceau de New Order, ou le très inquiétant et excellent, un des meilleurs morceaux de l’album, Plaster). Mais, peut-être plus que sur les précédents opus, Dear Deer nous donne la possibilité de nous détendre. Le très très bon mais surprenant Deux est un morceau dansant, discoïde, fun (avec quelques morceaux amers dedans, quand même). On trouve même une version club de Love like capitalists !
La musique de Dear Deer reste toujours aussi exigeante. Toujours un vrai mur du son auquel on se heurte dès le premier morceau, Anonyme A, et qui ne laisse pas beaucoup plus d’espace pour respirer que sur les albums précédents. Mais peut-être que Dear Deer est en train de muer (c’est-à-dire de changer tout en gardant son identité). Un groupe qu’il faut continuer d’écouter et de suivre. Il y a vraiment quelque chose d’exaltant, d’enthousiasmant dans leur musique.
Alain Marciano