Nous étions impatients de découvrir sur scène les titres du fabuleux dernier album de Emily Jane White, Alluvion, et elle ne nous a pas déçus, hier soir à la Boule Noire. Avec, en première partie, une jolie rencontre avec Norma, une jeune femme combattive. Oui, le présent et l’avenir du Rock sont féminins…
Le 18 mars dernier est sorti un album majeur, qui marquera l’année 2022. Et, comme c’est malheureusement souvent le cas, peu de gens s’en sont aperçus. Alluvion, de la chanteuse américaine Emily Jane White, est le genre de disque qui vous redonne foi en la capacité de la musique – du Rock, pour faire simple – à embrasser de manière pertinente, personnelle et intime, les grands défis de notre siècle… au lieu de se contenter de nous chanter encore et encore les mêmes histoires d’amour ou de frustration. Et ce soir, Emily Jane White passe par Paris pour nous interpréter les chansons de ce disque, dans la petite et chaleureuse salle de la Boule Noire.
20h : La soirée début par un set de Norma, jeune autrice-compositrice française active depuis quelques années. Norma est seule sur scène, avec son piano électrique et sa guitare électrique, et elle nous avoue très vite être terrifiée… Pourtant, cette terreur ne l’empêche pas de nous chanter des chansons qui tiennent vraiment bien la route, tant mélodiquement que du point de vue textes. Sa voix, très belle, a ces tonalités vaguement enfantines qui envoûtent certains mais peuvent en irritent d’autres. Ce qui est intéressant, au-delà de la qualité d’écriture des morceaux, ce sont – et on s’en rend compte plus le set avance – ses paroles, très militantes, combattives : « If I am witch, You are just evil, If I’m a bitch, You’re just the devil,… I’m more than just a pair of tits » sur l’impressionnant Crocodile Tears… La dernière chanson, Woman, est celle qu’est nous annonce comme la plus éprouvante, qui nécessite même un verre de vin rouge : « I’m trying to satisfy your every need but I’m a woman and its not in my genes. ». Une amie nous murmure que Norma manque encore de maturité : c’est possible, mais on aimerait que toutes les jeunes femmes manquant de maturité écrivent et chantent des chansons comme ça !
20h50 : Après cet excellent début de soirée, place à notre idole du moment, la blonde Emily Jane White. Elle est accompagnée d’un guitariste (qui fera aussi de belles démonstrations à la basse) et d’un batteur qui frappe un peu trop fort sur certains morceaux. Emily entre sur scène alors que les musiciens ont commencé à créer une atmosphère sombre, accentué par un drone menaçant, qui ponctuera d’ailleurs tout le set. La Boule Noire n’est pas pleine, ce qui est évidemment honteux pour une artiste de cette trempe, mais on va dire que chaque spectateur dans la salle compte double, tant la foi qui transpire du public est tangible.
Quelques petits problèmes de son sur Show Me the War, le premier morceau – et ouverture sublime de Alluvion -, avec la magnifique voix d’Emily un peu trop en retrait, sont vite résolus : on est partis pour une heure vingt d’un voyage cathartique, mêlant recueillement intime et splendeur gothique, romantisme suspendu et tension électrique. Bref, on va passer par un peu tous les états pendant ce set ! Emily passe des claviers à la guitare électrique, et va nous interpréter la quasi-totalité de son dernier album, ce qui réjouira ceux qui comme nous apprécient l’envol d’Emily vers une musique plus Rock… mais pourra éventuellement décevoir ceux – et ils sont nombreux, bien entendu – qui préfèrent l’intimisme sensible, plus folk, plus dépouillé de ses débuts. Crepuscule est ainsi un magnifique moment de rock shoegaze, dont le lyrisme rêveur et les effets de guitare ne sont pas loin d’évoquer par exemple un Slowdive… Parmi les titres les plus anciens, plus folk donc, on aura particulièrement vibré sur un Washed Away intense, sublimement romantique mais totalement en phase avec la confusion dans laquelle nous vivons quotidiennement (« The burden of modern life / The heart it beats and it prays / Forever to walk in the night / And never be washed away… ») : difficile de ne pas avoir le cœur serré ou les yeux humides devant tant de beauté.
Le set se terminera par un long rappel de 4 titres, qui prouvera qu’Emily veut nous en offrir encore plus : après un final lyrique et grandiose sur Battle Call (au moins il nous a semblé le reconnaître…), elle insiste pour nous jouer un dernier morceau d’americana pur jus, visiblement non planifié.
Très beau concert, auquel, si l’on veut chercher à tout prix des reproches à faire, il n’a sans doute manqué qu’un zeste d’excès, de folie, de laisser aller : sur plusieurs chansons, on y était presque, et puis la musique s’arrêtait, trop tôt, trop vite. Mais c’est aussi cette retenue, cette pudeur d’Emily Jane White, qui ne manipule pas son public et ne porte pas les émotions au paroxysme, qui fait son prix. Qui fait d’elle une artiste d’exception.
Photo : Robert Gil
Texte : Eric Debarnot
Emily Jane White – Alluvion : Une Dream Pop portée par une voix singulière