A l’occasion de la sortie du nouvel EP de Ralph of London, Yellow Sky Highway, qui marque une évolution notable par rapport au premier album, The Potato Kingdom, nous avons voulu interroger Ralph et Diane, les deux voix de ce qui est désormais plus un véritable groupe qu’un projet solo de Ralph.
Benzine : Ralph, un musicien londonien « installé » dans le Nord de la France, ce n’est pas courant. Explique-nous un peu…
Ralph : Londres n’est pas la ville idéale pour démarrer un projet artistique quand tu n’as pas de ressources financières… surtout quand tu joues une musique un peu marginale comme la nôtre. Dans le Nord de la France, j’ai pu rencontrer des musiciens qui avaient vraiment envie de jouer avec moi, avec nous. Alors, oui, tu peux ressentir le manque d’ébullition culturelle, c’est clairement quelque chose qu’on n’a pas ici, mais par contre tu as une chose essentielle, du TEMPS pour travailler !
A l’origine, j’avais un tas d’amis français à Londres, c’est comme ça que j’ai rencontré des gens originaires du Nord, qui m’ont invité. Dès que je suis arrivé, ça a été : « Wow, il y a un tas de musiciens ici qui boivent beaucoup de bière et sont disponibles huit heures par jour ! » (rires)
En fait, maintenant que les restrictions sur les voyages ont été levées, nous passons la moitié de notre temps à Londres, et l’autre dans le Nord. On voyage beaucoup, en ce moment on travaille avec des gens de Bristol, par exemple…
Benzine : Et toi, Diane, comment en es-tu arrivée à Ralph of London ?
Diane : Moi, je suis une musicienne complètement autodidacte : j’étais dans le projet pour le manager, et de fil en aiguille, je suis passée à manager et musicienne, puis co-compositrice ! Ça s’est fait naturellement, mon implication a dépassé l’administratif et est devenue artistique aussi…
Ralph : C’est elle qui a le boulot le plus dur, il faut qu’elle s’occupe de notre administration, tout en étant complètement multi-tâches avec la musique, et aussi les idées de tout le monde !
Benzine : Et musicalement, vous venez d’où ?
Ralph : J’ai grandi en écoutant du punk et du rock’n’roll music des Etats-Unis. J’ai oscillé entre la sous-culture britannique et la sous-culture américaine ! D’abord les Smiths et les Talking Heads, et des groupes comme The La’s ou les Stone Roses, c’est vraiment l’ADN de ma musique. Puis je me suis totalement immergé dans le grunge : je suis tombé amoureux du style de son du grunge !
Mais des gens comme Daniel Johnston ou Sparklehorse m’ont appris qu’on pouvait être différent, sonner de manière moins lisse, avec des imperfections, jouer de la musique qui passe sous les radars…
Mais, en habitant à Londres, où la culture internationale est très présente, je suis tombé sur Fela Kuti, qui m’a littéralement soufflé ! C’était comme découvrir un arbre et toues ses branches… J’ai réalisé que m’en tenir à l’indie rock à guitare des petits blancs n’étaient pas pour moi, il fallait que je trouve mon propre mélange de musiques.
Diane : Moi, même si je n’ai pas grandi à Londres mais à Lille, j’ai connu ce côté multiculturel dans ma famille, qui est à la fois belge et algérienne. J’ai grandi en écoutant du hip hop, les Beatles et la musique classique avec mon père, et en parallèle la musique kabyle, berbère. Donc du coup, même si naturellement, j’écoute de l’indie pop et de l’indie rock, comme les Strokes ou Devendra Banhard, par exemple, j’aime bien chercher des sonorités de partout. On ne peut pas mettre Ralph of London dans une case !
Benzine : Alors, c’est quoi, le plan avec Ralph of London ?
Ralph : Partager notre musique avec des gens qui sont intéressés par notre approche, construire des connexions avec des gens qui nous ressemblent. Les paroles de nos chansons sont importantes, donc je me demande toujours si les gens les comprennent. Il ne faut pas que la langue soit une barrière, les paroles doivent être un moyen de poursuivre le voyage ensemble…
Après cet EP, qui sort le 8 avril, on a un album complet déjà enregistré, qui devrait sortir soit à la fin 2022, soit en début 2023. Le EP en est en quelque sorte une introduction.
Diane : Ce qu’on cherche à faire, ce n’est pas de ressembler à quelque chose d’avant, ce qui peut nous porter préjudice avec les producteurs qui aiment les choses clairement étiquetées. On a pris de nouvelles directions, le groupe a évolué, on est 4 musiciens au lieu de 5. L’album The Potato Kingdom, que nous défendions en live, avait été créé à 99% par Ralph, mais depuis, on a bénéficié des différents confinements : on a pu avoir notre studio dans lequel travailler, et composer des morceaux sur lesquels tout le monde a participer aux différentes étapes de création et d’enregistrement. Ralph of London, aujourd’hui, c’est plus un groupe, avec un nouveau projet.
Ralph : L’un de nos principaux objectifs, en dépit des obstacles – politiques pour la plupart – quand on travaille par-delà de frontières, c’est d’exister dans les deux pays. C’est aussi notre plus grand défi.
Diane : On veut garder ce pont entre la France et l’Angleterre
Ralph : C’est une belle tradition de partager de la musique entre les pays européens, entre la France et le Royaume-Uni. On veut être l’un des groupes d’artistes qui la perpétuent… Mais ça demande d’être obstinés, de résister au « bullshit » des politiciens. Il faut les défier !
Benzine : Ouvrons un peu le débat, pour finir… Etes-vous optimistes quant au futur de la musique telle que nous la connaissons ?
Ralph : Oui, parce que la musique va continuer à évoluer. Comme de plus en plus de gens souffrent d’une vie difficile, dans une société qui devient plus agressive, les créateurs de musique vont encore gagner en importance. Soit parce que la musique est une manière idéale d’échapper à la réalité, soit parce que les artistes sont en position de formuler des déclarations politiques quant à la « vraie vie ».
Benzine : Justement, ça pose en particulier le problème que la plupart des groupes de Rock français s’expriment en anglais dans leurs chansons de nos jours…
Ralph : La France aurait vraiment besoin de paroles en français, qui puissent refléter dans la musique ce que c’est que vivre en France en 2022.
Diane : Les groupes français veulent, logiquement, pouvoir s’exporter et chantent donc en anglais. Le risque est qu’il y ait une envie de se conformer à ce qu’on entend à la radio…
Propos recueillis par Eric Debarnot