Avons-nous assisté hier soir à l’Olympia au triomphe de Fontaines D.C., avec leur concert le plus intense, le plus rock ? Ou au contraire à une tentative de normalisation d’un groupe qui perd de sa singularité pour devenir… grand ?
Avec en main un ticket portant la date du 1er avril 2021 (mais on se dit que ça pourrait être pire, comme pour d’autres artistes, ce concert aurait pu être lui aussi reporté de deux ans !), on pénètre dans une Olympia sold out qui bruisse de l’excitation des grands jours. Tout le monde est là (ou presque), tout le monde veut voir ou revoir Fontaines D.C., ce jeune groupe de Dublin qui est apparu comme tant d’autres en reprenant l’esprit et la lettre de la musique de la toute fin des années 70, mais qui a pris son envol en allant chercher des formes musicales différentes. Après le triomphe d’un second album surprenant, A Hero’s Death en 2020, on attend maintenant le troisième, dont on espère qu’il sera celui de la consécration…
20h15 : Just Mustard, c’est le type de groupe qui a eu une très bonne idée : pour simplifier (caricaturer ?), on dira une musique bien lourde, répétitive, parfois à la limite de l’indus, jouée à un volume sonore honorablement élevé, sur laquelle Katie Ball, la chanteuse, pose un chant monotone d’une voix enfantine qui évoque immanquablement celle des poupées maléfiques dans les films d’horreur à deux balles. Le premier morceau est intéressant. On pense à ce que faisaient The Cranes à l’époque. Et puis, chanson après chanson, à force de répéter exactement la même recette, l’intérêt s’émousse progressivement. Que le rythme se ralentisse ou s’accélère, c’est finalement la même chanson, encore et encore. Aucune tentative de communiquer quoi que ce soit au public, aucune intensité dans l’interprétation – bon quelques pics sonores pour la fin qui pourraient laisser espérer que…et puis non. A la limite, le son très fort finit même par être pénible. On s’occupe en se concentrant sur le drumming énergique et spectaculaire de Shane Maguire. Juste un peu de moutarde ? Peut-être, mais en dessous, ça reste de la malbouffe…
21h15 : En discutant avec les amis, on se dit que si l’on compare le public de Fontaines DC avec celui de Shame, on peut être frappé par l’âge un peu plus élevé des fans des Dubliners, ainsi que par leur comportement qui semble moins turbulent. Sans doute est-ce là une sorte de reconnaissance que Fontaines DC ont réussi leur mutation du post punk originel vers une musique plus complexe, plus originale, plus… intellectuelle ?
Et, juste pour nous faire mentir (ce qui est toujours une bonne chose en soi…), Fontaines DC débarquent sur scène – après une longue intro soul – avec une énergie qu’on leur avait rarement (jamais ?) vue… Du coup, le public se laisse aller à sa joie, et on embarque pour l’un des sets les plus intenses du groupe. C’est surtout l’attitude de Grian Chatten qui a changé : lui qu’on a souvent vu typiquement nonchalant, frôlant l’introversion, il assume ce soir son rôle de frontman, d’amuseur, de future rock’n’roll star peut-être. Littéralement méconnaissable, il saute, il danse, il se bat avec son pied de micro qu’il essaie visiblement de planter très profondément dans la scène de l’Olympia. Il vient même au contact des premiers rangs, dressé sur la barrière comme un punk rocker ordinaire. Il y a alors deux manières de juger ce concert – et les deux sont pertinentes, les deux nous ont traversé l’esprit : on a participé ce soir au concert le plus rock, le plus intense du groupe, et on s’est bien amusés ; ou bien on a assisté à une sorte de normalisation d’un groupe que l’on considérait comme plus malin que ça, et l’originalité mélodique, musicale de Fontaines DC est passée à la trappe. En sortant, au bout d’une heure et quart d’un set joué largement pied au plancher, on a croisé un ami qui semblait un peu perplexe et qui nous a dit : « ce soir, ils ont joué en mode TGV ! ».
Bon, disons alors que nous avons pris du plaisir, que nous avons même joué à nous lancer et relancer, sur Too Real, de gros ballons blancs que le groupe a fait déverser sur le public : à ce moment-là, on s’est dit qu’on était assez loin quand même du style « jeune authentique poète dublinois » qu’on attribuait à Grian… D’ailleurs la setlist a fait la part belle au premier album, Dogrel, ce qu’on peut interpréter comme un repli sur les bases post-punks du groupe, et les chansons les plus émotionnelles de A Hero’s Death ont été jouées plutôt dans le même registre.
D’ailleurs, les meilleurs moments du set ont été Big – parce que, évidemment, on chantait tous en chœur -, Boys in the Better Land – parce que, évidemment, on a pogoté, un peu –, et une version au napalm de Hurricane Laughter. Qui aurait dû logiquement conclure la soirée. Mais les boys ont insisté pour nous jouer un nouveau morceau, Nabokov, conçu comme un grand moment de chaos sonique, et qui n’a pas plu à tout le monde dans la salle. Même s’il marquait peut-être, in extremis, un retour à la singularité.
On va donc surveiller de près l’évolution de Fontaines DC après ce concert, qui était certainement, si l’on est rationnel, le « meilleur » que l’on ait vu d’eux, mais aussi le moins surprenant. Le moins humain.
Photos : Robert Gil
Texte : Eric Debarnot