Francis Desharnais et Alexandre Fontaine Rousseau déboulonnent avec un flegme réjouissant le mythe de la conquête spatiale, peut-être pas aussi glorieux qu’on voudrait bien le croire. La course à la Lune comme vous ne l’avez jamais vue !
C’est en 1957 qu’a démarré la conquête de l’espace avec la mise sur orbite du Spoutnik soviétique, avec à son bord la chienne Laïka, pour se terminer en juillet 1969 par le débarquement de l’équipage américain d’Apollo 11. Les Québécois Francis Desharnais et Alexandre Fontaine Rousseau revisitent cette période en la détournant avec des sketches à l’humour grinçant et jubilatoire.
Disons-le d’emblée, le lecteur amateur de BD de SF, dans la tradition du space opera aux planches spectaculaires, s’il est intrigué par le titre, devra passer son chemin. S’il va jusqu’à feuilleter ce petit album, il pourra aussi conspuer la fainéantise apparente du dessinateur, Alexandre Fontaine Rousseau, qui recourt ici à l’itération minimaliste. Et pourtant, le procédé est connu, s’appliquant très largement à la BD d’humour et popularisé par l’école oubapienne dont Lewis Trondheim est un éminent représentant. Toujours très culotté, ce parti pris est largement assumé par ses auteurs et fonctionne ici à merveille. Et à y regarder de plus près, la qualité graphique est bien présente. Faites-le test vous-même en tapissant un mur à l’aide des planches de l’album, le résultat est plus que probant, vous arriverez même à épater vos amis !
Bref, pour peu qu’un tel parti pris soit accepté par le lecteur, il ne lui restera plus qu’à se délecter de cet humour décalé et pince-sans-rire s’appuyant sur la technique du running gag. Comment résister à cette Laïka imperturbable qui ne sait que répondre « Waf ! » au groupe de scientifiques lui proposant de l’envoyer en orbite autour de la Terre, tout en s’égarant dans des conversations à la fois oiseuses et absurdes. Et c’est encore plus drôle quand on sait ce qu’il adviendra de la chienne… tout au moins dans le monde réel. Quant à Michael Collins, le troisième astronaute aux côtés de Buzz Aldrin et Neil Amstrong, on compatit avec lui du sort qui lui fut réservé. Car en dehors du fait que (presque) personne ne se souvient de lui, et pour cause, le pauvre Collins resta à bord de la capsule tandis que ses deux compagnons gambadaient sur un sol lunaire vierge, sous l’œil admiratif de 4 milliards de Terriens. On compatit et pourtant, hypocrites que nous sommes, cela ne nous empêche pas de pouffer de rire en lisant son journal dans lequel il tente, non sans mal, de masquer sa frustration par une attitude fair-play.
Les expressions québécoises renforcent la cocasserie du propos, et même le lecteur français finira par se familiariser et deviner le sens des plus énigmatiques, sans forcément faire appel à google. C’est sûr, Francis Desharnais a le sens de la « joke », et avec lui, si un voyage en capsule spatiale est pas « vargeux », il saura le rendre « ben crampant » !
A l’aide de cette parfaite alchimie entre textes et dessins, les auteurs raillent avec causticité les idéologies ennemies du temps de la guerre froide, démystifient les figures héroïques de cette course à l’espace un peu infantile, égratignant au passage le complotisme, le mercantilisme et plus généralement la bêtise. Une chose est sûre, avec La Conquête du cosmos, vous ne verrez plus l’espace de la même façon, et la simple contemplation de la lune fera peut-être même naître un sourire amusé en vous…
Laurent Proudhon