La nuit de Gigi, de Dominique Dussidour est un roman doux et sombre, simple et complexe, comme la vie (et la mort). Plutôt facile à lire mais très difficile à oublier.
Que dire à propos de ce roman? Que dire d’autre que « lisez-le »! D’une certaine façon, La nuit de Gigi est tellement désarmant qu’il semble difficile d’en parler vraiment, d’expliciter ce qu’on a ressenti (de peur, sans doute, de briser le sort que Dominique Dussidour nous a jeté, de perdre le fil qui nous a lié à ces personnages, à cette histoire). Essayons quand même. En quelques mots, La nuit de Gigi est beau, à la fois fort et simple, dense et léger. Rien que cela est déjà rare et très précieux. Comme cette nuit qui donne le titre au roman.
Cette nuit est celle que Gigi passe dans la chambre du 6ème qu’occupe Gabrielle, sa fille. Une nuit seulement, pendant laquelle Gigi essaye de comprendre et de retrouver Gabrielle, cette fille de 20 ans qui est en train de partir au figuré (comme tous les enfants partent un jour) et au propre (Gabrielle vient de disparaître). Elle fouille dans les affaires de sa fille, rencontre quelques personnes que Gabrielle connaissait… Une nuit, quelques pages, un moment rare pour cette mère. Un moment précieux, son dernier avec sa fille. Le point culminant du roman, qui se termine quasiment alors. Les (environ) 250 pages qui précèdent nous raconte la vie de Gigi, un peu, et celle de Gabrielle, beaucoup, nous parlent de leurs parents, voisins, amis, des rencontres qu’elles ont faites, des questions qu’elles se sont posées. Hésitations, doutes, plaisirs, enthousiasmes, découvertes, pertes. Joie et tristesse. La vie. La vie dans un immeuble parisien. La vie mode d’emploi. C’est tout, mais de quoi un roman peut parler d’autre? Quelle peut-être l’ambition d’un roman, à part parler de la vie?
L’intrigue est simple, le suspense ténu — en fait, pas vraiment d’intrigue et peu de suspense. Les dialogues sont souvent simples, mais le plaisir qu’on éprouve à lire La nuit de Gigi est ailleurs. Il réside en grande partie dans les personnages qui habitent La nuit de Gigi. De personnages si vrais, de chair et de sang, d’os et de sentiments, d’idées, d’envies. Des êtres humains, vraiment, qui agissent et réagissent avec beaucoup d’humanité (même si la violence n’est pas absente du roman). Des personnages qui ont tellement d’épaisseur qu’on se sent immédiatement avec eux, dans leur intimité. Aucune distance ne s’installe avec eux; il n’y a jamais l’impression que l’auteur essaye de nous faire croire que… Cela est aussi dû à ce style simple et raffiné, entre prose et poésie. Jamais Dominique Dussidour n’essaye de se mettre en avant. Pas d’affectation, pas non plus de considérations psycho-sociologiques (en tout cas, pas platement et brutalement affirmées).
La nuit de Gigi est le dernier roman écrit par Dominique Dussidour avant qu’elle ne décède (en 2019). Dans la préface nous apprenons que c’est exactement celui qu’elle avait voulu écrire. Après l’avoir lu, on comprend. Il n’y a rien en trop ou qui manque. C’est un roman parfaitement réussi.
Alain Marciano