Le temps n’existe pas en musique, seule compte l’émotion. Et d’émotion, il est tout le temps question sur le vibrant Overwintering, nouvel album de Lightning In A Twilight Hour… des anciens membres de The Field Mice et Trembling Blue Stars.
Et si le temps était une notion dépassée, une vertu surannée ? Et si le temps était passé de mode ? Et si le temps était à remiser dans ces vieilles valeurs d’un passé au fond d’un grenier ? Et si quelque chose d’inédit pouvait naître de vieilles recettes ? Et si l’excitation pouvait encore se distiller dans des sentiers mille fois parcourus ? Et si la mélancolie, la nostalgie pouvaient enfin nous faire retrouver les traits de notre jeunesse ? Et si la jeunesse jamais ne s’évanouissait ? Et si vieillir était un mirage, une tromperie ? Et si vieillir n’était finalement qu’un immense malentendu ? Et si la question essentielle était dans cette volonté de continuer à s’interroger ?
Bobby Wratten, depuis ses débuts avec The Field Mice puis Northern Picture Library et ensuite Trembling Blue Stars, a toujours écrit le même disque un peu comme un peintre qui revient cent fois et sans foi à son esquisse. Quand après une longue absence, il a décidé de poursuivre son travail musical tout d’abord avec The Luxembourg Signal (qui ne nous avait pas totalement convaincu) puis avec Lightning In A Twilight Hour, ce n’était pas pour révolutionner sa démarche mais au contraire poursuivre cette démarche obsessionnelle autour d’une complainte Pop. Qui clamera haut et fort que l’anglais fait du neuf avec du vieux n’a absolument rien compris à l’approche de l’ex leader des Field Mice. Ce qui passionne le musicien depuis ses débuts, c’est de tenter de traduire les mille déclinaisons de la mélancolie dans des lignes mélodiques qui doivent autant aux Cure qu’à leurs contemporains de l’époque, Slowdive auxquels on compara souvent Bobby Wratten. Sauf que Bobby Wratten reste toujours dans une forme de douceur rêveuse, de torpeur toute anglaise. On croirait deviner dans ses motifs d’arpège un peu de ces paysages du Merset, une langueur toute britannique que nous confondons avec du flegme.
Il y a chez Bobby Wratten une capacité à faire le grand écart entre le Vaughan Williams de The Lark Ascending et le Atzec Camera, ce groupe porté par Roddy Frame injustement délaissé de nos jours. Bobby Wratten a toujours été un aquarelliste, ses couleurs se teignent de pastel, la souffrance est toujours incolore mais jamais totalement indolore. Comme Roddy Frame, Bobby Wratten a toujours assumé une vision esthétique, un minimalisme sophistiqué qui renvoie tout autant à l’école tropicaliste d’un Milton Nascimento qu’aux productions de Sarah Records dont il fut une des figures de proue. Comme chez Roddy Frame, on sent dans le regard de Lightning In A Twilight Hour une vision éminemment ouvrière et rurale sans filtre et sans contrefaçon d’un monde illuminé par le doute. Bobby Wratten ne se pose jamais en donneur de leçons, il ne propose jamais de solution, il donne à voir un constat sans prétention ni modestie fallacieuse. N’allez pas chercher chez lui la moindre volonté de porte-étendard, le monsieur est bien trop timide pour cela.
Ce qui est prégnant dans tous les disques de l’anglais, c’est cette contemplation qui jamais ne dit son nom. Bobby Wratten n’affirme rien, dit peu et beaucoup à la fois dans des textes éclatés et suggestifs où il est souvent question de deuil, de corps brisé, d’espoir de matin à venir peut-être ou peut-être pas. Le parallèle avec Slowdive peut aussi être poursuivi ou peut-être plutôt avec son autre entité Mojave 3 tant la part féminine est importante sur ce disque comme autant de multiples identités qui se distinguent des chansons incarnées par Bobby Wratten. Beth Arzy pourrait se poser sur The Cinematographer As Painter en lointaine cousine de Rachel Goswell et sa Ballad of Sister Sue sur Just For A Day (1991).
Ce qui est nouveau par contre sur Overwintering c’est l’émergence d’un psychédélisme plus affirmé sur Perfumed Meadows Of May Snow par exemple qui rappellera aux plus attentifs des souvenirs de Galaxie 500. Ce qu’a toujours assumé à sa façon si singulière Bobby Wratten, c’est cet étroit rapport que la mélancolie doit tisser avec l’ennui pour trouver sa voie jusqu’à nous et il faut bien du courage pour marquer une force de linéarité dans ses compositions au point que certains n’y verront qu’une perpétuelle répétition. Un peu comme la musique shamanique qui s’appuie sur la répétition pour nous amener à un état seconde et une forme de transe, Lightning In A Twilight Hour revient encore et encore sur les mêmes motifs, une rythmique dans son plus simple appareil, la basse aigrelette de Wratten, la guitare discrète de Michael Hiscock, fidèle parmi les fidèles de Bobby Wratten avec Anne Mari Davies également présente sur ce disque et à ses côtés depuis The Field Mice.
Même si cela peut sembler un peu cliché, chaque découverte d’un nouveau disque de Bobby Wratten, c’est toujours un peu comme retrouver un vieil ami que l’on avait délaissé, on a plein de souvenirs avec lui mais la vie ne nous laisse pas le temps de le voir si souvent qu’on le souhaiterait. Certes, à chaque nouvelle rencontre, on constate un peu plus de cheveux blancs sur ses tempes, un peu plus de rides sur son visage mais tout ce qui a fait de lui un ami est toujours là, intact comme au premier jour.
Et si finalement le temps n’était qu’un mirage ? Si le passé n’existait pas, si le présent était un leurre et le futur une simple promesse ? Si la vérité était ailleurs dans une sorte de ligne continue que seule la musique peut révéler et celle de Bobby Wratten sublimer ?
Greg Bod
Lightning In A Twilight Hour – Overwintering
Label : Elefant records
Sortie le 1 avril 2022